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La forêt drue et ténébreuse
Engloutit les deux pèlerins ;
Dans l’épaisseur luxurieuse
Filtrent des éclairs purpurins.
On entend des cris et des râles
Et des fleurs rouges en spirales
Pleuvent des baobabs noueux.
L’herbe jaillit d’étangs boueux,
Les serpens sifflent, les panthères
Brament sous les impurs mystères.
L’air frissonne, flambe et pâlit,
La forêt en sueur ruisselle
Sous l’haleine chaude et mortelle
Qui vient du temple de Kali.

Le voici qui s’étage en assises énormes
Que portent sur leur dos des dragons monstrueux ;
Dans ses piliers trapus s’enchevêtrent les formes
De tous les animaux fauves et tortueux.
Et terrible, au sommet de l’âpre pyramide,
La quadruple déesse, assise, les seins nus,
Aux quatre coins du ciel tend ses huit mains avides,
Et tout l’Univers brûle à ses souffles torrides
Et vient chercher la mort entre ses bras charnus.

Du temple sortent des esclaves
Qui portent dans un palanquin
Une femme aux membres suaves
Vers l’étang qui l’invite au bain.
Sa chevelure s’entortille
Comme un serpent sous la charmille
En noirs anneaux sur son sein brun.
Autour d’elle flotte un parfum,
Un nimbe jaune, une magie
De volupté, de léthargie.
Quand son beau corps pâmé d’amour
Se baigne dans l’eau qui soupire,
Le désir aux dents de vampire
Mord les hommes dans Hadinour.

De la nuit de ses yeux tombe un charme morbide ;
Il glisse savamment de leur sombre miroir,
Et malheur à celui qui boit leur long fluide