Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 122.djvu/807

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il n’exécuta pas, et, en 1885, publia sa première œuvre, un poème épico-lyrique intitulé : le Sort des Prométhides[1].

Ce début n’avait rien de brillant : les mésaventures du poète Selin, qui finit, après beaucoup de stances, par briser sa lyre et par en jeter les morceaux au vent, ne se recommandaient point à l’attention des contemporains. Aussi le poème n’eut-il aucun succès : M. Hauptmann en a plus tard retiré les exemplaires de la circulation, et il y aurait mauvaise grâce à le taquiner sur une œuvre de jeunesse dont il est le premier à reconnaître la nullité. Si nous la signalons, c’est qu’elle ouvre par une dédicace, qui en est le meilleur morceau, où pointent déjà des intentions hardies, et comme une volonté d’audace qui n’aboutit d’ailleurs ni dans le fond ni dans la forme de cette première composition :

« Je chante librement, malgré le poids des chaînes : — l’audace est le premier devoir du chanteur, — et celui qui limite son chant à une caste — est un lâche, et non pas un chanteur. — Il faut que l’arme brille au jeu des cordes, — et malheur au chanteur qui chante la paix !…

On peut s’étonner de trouver au seuil d’une œuvre aussi parfaitement inoffensive que le Sort des Prométhides de si menaçantes paroles. Leur sens devait se dégager quatre ans plus tard, quand le jeune auteur, ayant trouvé la formule qui lui convenait, dégagea pour la première fois sa personnalité.

Ce fut en publiant en librairie un « drame social » intitulé : Avant l’aurore, que ses tendances et sa hardiesse excluaient des scènes habituelles. Or, à ce moment même, un groupe de jeunes gens en quête d’art nouveau venaient de fonder une Scène libre (Freie Bühne), sur le modèle du Théâtre-Libre de M. Antoine. Les deux directeurs de l’entreprise, MM. Otto Brahm et Paul Schlenther, n’hésitèrent point à monter la pièce de M. Hauptmann, qui fut jouée le 20 octobre 1889, et fit scandale. Peu de temps après, le cadre restreint du théâtre parut trop étroit au petit groupe, qui créa, toujours sous le titre de la Scène libre, une revue à laquelle vinrent collaborer des écrivains de talens divers, mais imbus de doctrines plus ou moins homogènes. Bientôt, ils s’adjoignirent quelques-uns de ces Scandinaves que l’Allemagne attire et adopte, comme MM. Arne Garborg, Strindberg, Knut Hamsum, etc. Enfin, à côté de leurs propres romans et de leurs propres pièces, ils se mirent à publier un grand nombre de traductions de Tolstoï, de Kielland, et de Zola, entre autres, dès leur troisièmes numéro, la Bête humaine. Tout cela constitua un ensemble qui

  1. Promethidenloos, eine Dichtung von G. Hauptmann. Berlin, 1885.