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le sillon pour encourager le laboureur. Nos contemporains ont beaucoup de goût pour ces collaborateurs célestes qui, dans la Légende Dorée, viennent toujours si à propos aider les solitaires dans leurs grosses ou petites besognes. Ces seigneurs d’en haut ne sont pas fiers, d’ailleurs, et, pourvu qu’ils soient chez des moines, ils travaillent à l’office, à la cuisine, au jardin, aussi bien que dans la chapelle ou au cloître. Chez M. de Richemont, ils sont deux qui se présentent juste à point dans le réfectoire de Sainte-Sabine au moment où saint Dominique, assis au milieu de ses moines affamés, vient de constater l’insuffisance des comestibles : l’un apporte sur un plateau de gros pains bis qu’illumine une auréole appétissante ; l’autre puise dans une cruche de l’eau qui, l’on peut l’espérer, va se changer en vin d’excellent cru. Sur le gradin de son chef-d’œuvre au Louvre, le Couronnement de la Vierge, Fra Giovanni da Fiesole a raconté le même épisode avec son exquise et pieuse candeur. Murillo lui a donné une mise en scène plus substantielle et grossière dans la Cuisine des Anges. M. de Richemont, qui préfère l’Angelico, mais qui l’aime trop pour ne pas le savoir inimitable, a traité la chose, comme c’était son droit, dans un goût plus pittoresque et plus moderne. La table des moines, reculée à l’arrière-plan, ne nous les montre pas tous avec des visages aussi nobles ni avec des gestes aussi extatiques dans l’inquiétude ou la surprise ; la place la plus importante, sur le premier plan, est laissée aux deux beaux anges. Cela a été de nouveau, pour M. de Richemont, l’occasion de développer une de ses symphonies en notes blanches auxquelles il se complaît. L’ensemble est d’une distinction agréable, et qui gagnerait encore si les figures, de dimensions un peu grandes, étaient exécutées avec une fermeté proportionnée. M. de Richemont, dans ses premières œuvres, a montré qu’il savait peindre le morceau avec éclat et virilité ; les recherches, souvent heureuses, qu’il a faites depuis dans le sens des grandes distributions lumineuses et des harmonies finement nuancées n’en seront que mieux appréciées lorsqu’il les affirmera avec plus de décision. L’ange sommelier de M. de Richemont devient chez M. Paupion un ange jardinier accourant, les arrosoirs en main, au secours du bon Saint Fiacre, tout suant et tout haletant, sous un soleil violent, entre ses carrés de légumes desséchés. L’effet de lumière est vif et juste ; les deux figures, naturelles et familières, sans prétention.

Une des meilleures figures dans ce genre est le Fra Angelico de M. Paul-Hippolyte Flandrin, agenouillé, la tête dans ses mains, en prière et on extase, sur un échafaudage, dans un couloir du couvent de Saint-Marc, devant sa fresque commencée. C’est la