Avant d’étudier dans ses procédés et ses résultats l’évolution du progrès moderne, il est bon de dépouiller toute illusion : les bienfaits de la civilisation présente ont eu le sort réservé à beaucoup de bienfaits ; ils n’ont engendré que l’ingratitude chez ceux qui les recueillent aujourd’hui. Jamais, sans doute, les hommes n’ont été plus heureux qu’à l’heure actuelle ; et jamais cependant ils ne se sont crus plus à plaindre. Les doléances ont grandi avec le bien-être ; et, à mesure que notre condition devenait meilleure, nous l’avons jugée pire. La caractéristique de ce siècle favorisé entre tous est d’être mécontent de lui-même.
Il n’y a pas lieu de s’en étonner. Les siècles antérieurs présentaient l’image d’une société au repos ; le XIXe siècle offre le spectacle d’une société en marche. Cependant, au point de vue social, l’aristocratie et la démocratie ne sont pas aussi différentes en réalité qu’elles croient l’être en principe : la première édictait la stabilité indéfinie des situations au profit des gens d’en haut ; la seconde promet la mobilité permanente des destinées au profit des gens d’en bas. Mais la première n’a jamais pu faire observer absolument ses lois, et la seconde ne pourra jamais tenir complètement ses promesses. Il y a toujours eu beaucoup d’instabilité, même parmi les privilégiés de droit d’une aristocratie ; et il existera toujours un certain nombre de privilégiés défait, même parmi