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de plus peut-être pour constater vis-à-vis d’elle-même les manquans. Le mieux est de décourager autant que possible les voleurs, comme les grands magasins s’efforcent de le faire, par une surveillance bien organisée. Tous possèdent une hiérarchie d’inspecteurs, assermentés comme des gardes particuliers, auxquels ils adjoignaient parfois des agens de la sûreté ; mais ces derniers avaient fini par être connus des voleuses autant et mieux que du personnel. De plus ils avaient la main un peu lourde, et ici l’on pratique cette maxime qu’il vaut mieux épargner cent coupables que d’arrêter à tort un innocent.

On raconte que la voleuse, — c’est presque toujours une femme, à peine s’il y a 5 pour 100 de voleurs — est invitée, après avoir fait l’aveu du délit, à verser, à titre d’amende, au Bureau de bienfaisance ou au curé de la paroisse, des sommes qui varient suivant sa position sociale et l’importance du vol. Le fait a été vrai… partiellement ; il a complètement cessé de l’être depuis 7 à 8 ans. Les directeurs des grands magasins ont été menacés par le parquet d’être poursuivis correctionnellement, s’ils persistaient à rendre ainsi la justice eux-mêmes. Une procédure uniforme est donc employée aujourd’hui : la personne qu’un inspecteur voit dérober quelque objet n’est jamais arrêtée par lui dans le magasin ; elle pourrait laisser tomber subtilement à terre la marchandise qu’elle se proposait d’escroquer, ou bien elle affirmerait se diriger vers une caisse afin de la payer. Mais aussitôt dehors, l’inspecteur la suit jusqu’à ce qu’elle ait fait une vingtaine de pas ou posé le pied sur le marchepied d’une voiture. Il l’invite alors doucement à le suivre chez le commissaire de police.

Quelques voleuses à ce moment perdent la tête, jettent dans le ruisseau les objets dérobés, et alors la preuve est accablante, car on leur demande pourquoi elles les jettent. D’autres jouent l’indignation. — Que me voulez-vous ? Pour qui me prenez-vous ?… — Celles-ci espèrent en l’attroupement des badauds qui, avec l’intelligence ordinaire des foules, leur donneront peut-être raison et leur permettront de s’échapper. Ces cas sont rares d’ailleurs ; le plus souvent la femme suit l’inspecteur sans résistance jusque chez le commissaire qui, habitué à ces sortes de comparutions, envoie chercher, pour opérer décemment la perquisition ordinaire sur le corps de l’inculpée, une concierge du voisinage à laquelle la justice alloue la modeste somme d’un franc pour cette vacation toute spéciale. La perquisition est inutile si la voleuse avoue ; elle-même retire alors de ses poches, de son manchon, de son ombrelle, les objets qu’elle y avait logés. Quelques-unes sont chargées à couler bas, comme un galion de Vigo ; pour