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Staël comme « le plus digne représentant, avec Monti, de l’Italie spirituelle tout entière », il serait aujourd’hui complètement oublié de ses compatriotes eux-mêmes, s’il n’avait attaché son nom à une revue mensuelle, la Biblioteca Italiana, qui, pendant dix ans, de 1816 à 1826, sous sa direction, a beaucoup contribué à faire connaître en Italie les travaux des écrivains étrangers. Il est mort en 1846, léguant à la bibliothèque de Mantoue ses papiers, parmi lesquels M. Luzio a retrouvé cette relation de ses entretiens avec le vieux poète de Hambourg.

Acerbi était venu une première fois à Hambourg en 1798. Le lendemain de son arrivée, il était allé dîner chez un négociant ami des lettres, Sieveking, qui lui avait raconté sur Klopstock une anecdote assez piquante : « On lisait devant lui une de ses odes ; et voici qu’à l’avant-dernière strophe, se levant et interrompant le lecteur, il s’est écrié : « Je parie avec vous que, dans toute la poésie allemande vous ne trouverez pas de vers comparables à ceux-là, ni qui seulement en approchent ! »

Cette anecdote paraît avoir éveillé chez Acerbi le désir de faire la connaissance du vieux poète ; car tout de suite il demanda à Sieveking un mot d’introduction près de lui.

Klopstock avait alors soixante-quatorze ans. Depuis vingt-cinq ans déjà il vivait à Hambourg ; depuis quarante ans il avait perdu sa première femme, cette Meta qu’il avait célébrée dans ses Odes sous le nom de « Cidli ». Mais il n’était pas homme à se désoler indéfiniment. Toujours, au contraire, il avait pris plaisir à la vie ; et ce goût n’avait fait que grandir avec les années. La vieillesse ne l’effrayait guère. Il conseillait à Gleim, âgé de quatre-vingts ans, de se remettre à l’équitation : « Et ne me dites point que votre âge vous en empêche ! lui écrivait-il. Rappelez-vous que Juba montait encore à cheval à quatre-vingt-quinze ans ! » Il lui était ainsi toujours resté quelque chose, dans son allure et dans ses expressions, de son ancien métier de maître d’école.

En 1791, à soixante-sept ans, il s’était remarié avec une jeune veuve, la nièce de sa première femme. C’est dans la maison de cette dame qu’Acerbi le trouva installé, luxueusement et grassement installé, parmi toute sorte de témoignages de sa gloire passée. Depuis longtemps déjà cette gloire était passée. D’autres poètes étaient venus, plus vivans et plus jeunes, Wieland, Goethe, Schiller, qui avaient relégué la Messiade au rang des œuvres qu’on vénère sans se soucier de les lire. Mais Klopstock refusait obstinément de s’apercevoir de sa déchéance. Il continuait à se considérer comme le souverain absolu de la littérature allemande, comme un souverain véritable, pouvant traiter d’égal à égal avec tous les puissans de la terre. Après les massacres de Septembre, il avait officiellement adressé au ministre Roland une lettre de blâme ; il avait déféré les membres de la Convention au tribunal de l’histoire,