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cardinaux étrangers ; un tel classement n’a ni fondement logique, ni fondement historique, ni fondement politique. Il n’y a pas de cardinaux italiens : il y a des cardinaux romains, des cardinaux de curie ; il n’y a pas de cardinaux étrangers : il y a des cardinaux de couronne ou de nation. Quand l’Italie s’est unifiée, la papauté a achevé de s’universaliser ; on l’a dénationalisée, elle a achevé de s’internationaliser. Par l’unification de l’Italie, on a détruit le dernier motif qu’il y eût à ce que l’Italie comptât dans le Sacré-Collège plus de membres que les autres pays catholiques. Tant qu’il y eut en Italie six ou sept petits royaumes ou petites républiques, il se concevait bien que Naples eût ses cardinaux, que Florence eût les siens, et Venise les siens, et Milan les siens. Mais, depuis 1860 et depuis 1870, il n’y a plus de raison pour que la proportion entre les différentes nations soit rompue en faveur de l’Italie unifiée, laquelle continuerait à jouir d’un privilège, à l’appui duquel on ne saurait donner un bon argument. Voilà pourquoi ce n’est pas une futile querelle de mots, de vouloir dire l’élément romain, au lieu de l’élément italien et l’élément universel, au lieu de l’élément étranger. Il demeure parfaitement juste et absolument nécessaire que l’élément romain ou de curie (étant admis, d’ailleurs, que les cardinaux de curie peuvent appartenir à n’importe quelle nationalité) soit, dans le Sacré-Collège, très fortement représenté : c’est la tradition et il le faut, afin qu’il soit pourvu aux multiples besoins, aux services complexes du gouvernement de l’Eglise. Mais, hors de là, il ne peut y avoir qu’une règle : toutes les nations catholiques doivent entrer pour une part proportionnelle dans la formation du second élément ; les titulaires des diocèses italiens n’y ont pas plus de droits que les archevêques et évêques de France, d’Espagne ou d’Autriche, et cela de par la loi même du développement de l’Eglise, de par les conditions nouvelles de l’Italie et de par les conditions nouvelles de la papauté.

Le Sacré-Collège des cardinaux, Sénat de l’Eglise catholique et Conseil d’État des Souverains Pontifes, doit être international comme l’Eglise, universel comme la papauté. Comme l’Église, comme la papauté, il doit reposer sur des bases de plus en plus larges, il doit attirer à lui tout ce qui, d’un bout à l’autre de l’Église, est lumière et vie, est intelligence et vertu. Tel qu’il est, et bien que sa valeur varie naturellement avec les hommes qui s’y succèdent, nulle part ailleurs on ne trouverait une assemblée qui lui soit comparable. Il se recrute dans l’élite d’une élite, en dehors de toute considération autre que l’intérêt de l’Église, de son intérêt supérieur, universel et éternel. Il est, en somme, aussi peu accessible aux passions humaines qu’une réunion d’hommes puisse