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l’embrasement des bosquets, les jeux de la lumière sur la cascade, et faisant remarquer la lune qui brillait au ciel, mariant sa rayonnante, pâleur aux feux répandus sur la terre, il l’appela « la plus belle pièce de l’illumination ». Au bout d’une heure environ il se retira et, rentrant à Wilna, passa au travail le reste de la nuit.

Après avoir expédié à Pétersbourg les élémens d’une note diplomatique, destinée à servir de réponse au manifeste français, à le réfuter point par point, il rédigea un ordre du jour aux armées, en termes élevés et dignes. Napoléon avait dit dans sa harangue à ses troupes : « La Russie est entraînée par la fatalité, ses destins doivent s’accomplir. » Contre la divinité aveugle qu’invoquait son rival, Alexandre se réclamait de la Providence : « Dieu, dit-il, est contre l’agresseur. »

Enfin, il procéda à une suprême formalité, propre à le mettre en règle, sinon avec sa conscience, au moins avec l’opinion des hommes. Le 26, il fit appeler Balachof, qui était un de ses aides de camp en même temps que son ministre de la police, et il lui dit, avec le tutoiement en usage fréquent chez les souverains de Russie lorsqu’ils s’adressent à leurs sujets : « Tu ne sais sans doute pas pourquoi je t’ai fait venir ; c’est pour t’envoyer auprès de l’empereur Napoléon. » Il expliqua alors que cette mission devait consister à porter une offre dernière de négociation et de paix. Non qu’Alexandre eût l’espoir ou même le désir d’arrêter la lutte ; il la savait aussi irrévocablement résolue par son adversaire qu’elle l’était par lui-même. Dans les propositions d’accommodement que Napoléon lui avait prodiguées, il n’avait pas eu de peine à démêler de simples ruses de guerre, destinées à leurrer et à endormir la Russie, tandis que l’envahisseur préparerait ses moyens. Il n’en était pas moins vrai qu’a considérer les apparences, Napoléon avait réitéré des instances pacifiques, demeurées sans réponse ; ces efforts avaient été portés par le public européen à l’actif et à la décharge de l’empereur français ; on en avait conclu que la Russie voulait la guerre, puisqu’elle laissait systématiquement échapper les dernières chances de paix. Pour dissiper cette impression, il importait qu’Alexandre ne demeurât pas en reste de spécieuses tentatives, qu’il rétablît sous ce rapport l’équilibre, et fît même pencher de son côté la balance. Napoléon lui avait expédié l’aide de camp Narbonne ; il enverrait pareillement un aide de camp, le général Balachof. Napoléon lui avait écrit une lettre exprimant le vœu d’épuiser les voies de conciliation, avant de recourir aux armes ; après avoir suspendu sa réponse, Alexandre la ferait par une lettre conçue dans le même sens, et cette démarche, destinée à retentir au loin, apparaîtrait de sa part d’autant plus méritoire qu’elle se produirait à l’instant où son territoire