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ce général, ainsi harcelée, ne saura échapper sans dommage : « J’en aurai pied ou aile, » dit l’Empereur. En même temps, il prescrit à Davout de prendre avec lui une partie de son infanterie, le plus de cavalerie possible, et de se rabattre sur la droite, vers le sud ; c’est de ce côté principalement que l’occasion s’offre propice à de fructueux coups de main. À très petite distance au sud-est de Wilna, vers Ochmiana, des forces russes sont signalées. Quels sont ces corps, aventurés si près de nous et qui semblent inconsciens du péril ? Sont-ce ceux de Doctorof et de Touchkof, s’efforçant éperdument de rejoindre Barclay par le chemin le plus court ? Napoléon incline à y voir plutôt l’avant-garde de Bagration. Il croit toujours que l’armée commandée par ce prince remonte vers Wilna ; il a appris d’autre part, par des estafettes interceptées, que le bruit de notre rapide irruption à Wilna n’a pas encore pénétré dans l’intérieur de la Russie. En conséquence, on peut espérer que Bagration ne sera pas averti à temps ; tout donne à penser que son armée, ignorant le péril où elle court, va se jeter tête baissée dans le filet tendu sous ses pas, qu’elle échappera difficilement à un anéantissement total ou partiel. Pour la mettre entre deux feux, Napoléon fait inviter Eugène et Poniatowski à presser leur marche de liane ; il les aiguillonne par d’impérieux messages. Lui-même renforce continuellement, en cavalerie surtout, les troupes placées sous les ordres de Davout et destinées à courir sus aux colonnes de tête. Successivement, il fait partir de Wilna la division Dessaix, la division Saint-Germain, les cuirassiers de Valence, les lanciers de la Garde ; il charge Nansouty et Grouchy, avec leurs corps entièrement composés de divisions à cheval, de coopérer aux mouvemens du prince d’Eckmühl, afin que celui-ci puisse « faire de bonnes et belles choses. » S’entêtant à l’espoir d’une capture immédiate, mettant nuit et jour ses soins à la préparer, tout entier à ses combinaisons de guerre, il néglige encore de recevoir Balachof, semble oublier le messager de paix, toujours confié à Davout et gardé à vue.


III

L’empereur avait compté sans un ennemi plus redoutable que les forces russes, inférieures en nombre et disséminées ; le climat du Nord lui ménageait un premier et rude avertissement. Depuis quelques jours, le temps était variable, avec des alternatives de soleil et de pluie, avec une tendance à se gâter définitivement. Pendant l’après-midi du 29, un amas d’orages s’amoncela au-dessus de la Grande Armée et fit explosion sur tout l’espace occupé par nos troupes. La Garde fut surprise on marche sur Wilna, les