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toute sorte de folies que j’ai faites, ont fini par nous brouiller. Et me voici seul, sans amis, sans métier pour me faire vivre. Peut-être, par votre entremise, la maison Carey et Lea se déciderait-elle à publier mon volume, et à m’avancer une petite somme en manière d’acompte ? » Hélas ! Les éditeurs se refusent à rien donner pour le volume, « non point qu’ils le jugent sans mérite, mais parce que les recueils de contes, même bien écrits, trouvent difficilement acheteur. »

Le 15 mars 1835, nouvelle lettre de Poe : « Cher monsieur, je vous envoie ci-jointe une annonce de journal sur laquelle je me permets, très anxieusement, d’appeler votre attention. Il s’agit d’une place vacante de professeur dans une école publique. Un emploi de ce genre me serait infiniment précieux dans ma situation présente. Ai-je quelque chance de l’obtenir ? » Non, il ne paraît que Poe ait eu non plus cette chance-là. Il obtint en revanche une recommandation de Kennedy pour un journaliste de Richmond, White, qui venait de fonder le Southern Litterary Messenger, et qui le chargea d’abord d’écrire pour cette revue des comptes rendus de livres nouveaux. Mais bientôt White confia presque entièrement à Poe la rédaction de sa revue. Les lettres qui viennent ensuite nous font voir le jeune poète tout occupé à corriger des épreuves, à solliciter des articles, à préparer des sommaires pour de prochaines livraisons.

Le 29 septembre, White lui écrit la curieuse lettre qu’on va lire : « Mon cher Edgar, je crois que vous êtes sincère dans toutes vos promesses. Mais je crains qu’en vous retrouvant dans la rue de nouveau, vous vous laissiez aller de nouveau à votre penchant maudit ! Combien j’ai de regret à devoir me séparer de vous, personne sur la terre ne pourrait le comprendre. J’étais attaché à vous ; je le suis encore, et volontiers je vous rappellerais, si je n’avais peur de voir bientôt revenir l’heure de la séparation… Vous avez de belles qualités, Edgar, vous devriez les respecter et vous respecter vous-même ! Séparez-vous à jamais de la bouteille et des compagnons de bouteille ! Si vous voulez revenir à Richmond, et continuer à travailler avec moi, qu’il soit entendu que ; tous nos engagemens seront rompus dès la première fois que vous vous enivrerez. Boire avant le déjeuner est absolument désastreux : quiconque le fait n’est plus en état de fournir de bon travail dans la journée. Votre ami fidèle, WHITE. »

Poe jura de ne plus boire, et revint à Richmond. Le 22 janvier 1836 il écrivait à Kennedy : « Cher monsieur, je ne vous ai pas marqué réception de votre dernière lettre, mais elle n’a pas été sans influence sur moi. Toujours depuis lors j’ai courageusement lutté contre l’ennemi : je suis maintenant parfaitement tranquille et heureux. Et jamais je n’oublierai à qui je dois ma guérison. M. White est très généreux, tout le monde ici m’accueille à bras ouverts, les éditeurs m’envoient tous les livres qui paraissent. Quel contraste avec la