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nique qu’il a entendu parler dans son enfance, qu’il a peut-être parlés lui-même, n’ont rien ou presque rien introduit de leurs idiotismes dans le latin parfois étrange dont il s’est servi.

Pour n’en être pas trop surpris, souvenons-nous de l’importance que les écoles ont prise en Afrique. Or l’école est presque partout la mortelle ennemie des patois : le maître, fier de son savoir, et toujours un peu pédant et solennel, ne souffre pas que le beau langage qu’il enseigne soit gâté par les expressions populaires ; il monte la garde autour de lui, et veut le préserver surtout des ennemis les plus voisins, qui sont les plus dangereux. Dans cette lutte, qui recommence tous les jours, il a des alliés et des complices. La famille du jeune homme travaille elle aussi à faire la chasse aux expressions malsonnantes qui peuvent lui échapper. Comment pourrait-elle les souffrir, puisqu’en les employant on laisse croire qu’on est un homme mal élevé, qu’on n’a pas l’usage du monde, et qu’on a trop fréquenté le village ou l’antichambre, ce qui est un travers que la société distinguée ne pardonne pas ? Il faut vraiment avoir vécu dans les pays où les patois luttent tant bien que mal contre les dédains de la bonne compagnie pour savoir avec quel acharnement on leur fait la guerre et comprendre comment il arrive que les gens du monde parviennent à s’en préserver. Il est probable que les préjugés qui règnent chez nous existaient déjà dans l’Afrique lettrée du second siècle, et que les maîtres d’école et les pères de famille s’y accordaient aussi à combattre l’influence des vieilles langues indigènes. Apulée paraît avoir tout à fait partagé le mépris qu’on témoignait pour elles. Il dit quelque part, pour flétrir un jeune homme mal élevé, qui fuyait l’école et fréquentait les gladiateurs : « Il ne parle jamais que punique ; c’est à peine s’il se sert par momens du grec qu’il a appris de sa mère. Quant au latin, il ne veut pas et ne sait pas en user. » Voilà qui est clair : il pense qu’un homme comme il faut ne peut pas parler le punique. Il est donc naturel qu’il ait fait tous ses efforts pour qu’on n’en trouve aucune trace dans son latin.

Assurément ce latin n’est pas celui de tout le monde, il suffit de parcourir quelques pages de ses livres pour s’en apercevoir. Mais ce qu’il a d’original, et même parfois de bizarre, s’explique aisément quand on se souvient de la manière dont son éducation s’est faite. Il nous raconte, nous l’avons dit, qu’à