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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 126.djvu/29

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accordé par le négociateur autrichien. Le plan rédigé par Bernis, tel qu’il l’expose dans ses Mémoires et s’en fait assez justement honneur, consistait à faire d’abord un traité engageant les deux puissances à se garantir réciproquement toutes Leurs possessions, auquel ensuite chacune d’elles inviterait ses alliés à adhérer. On arriverait à former ainsi, sous le patronage de la France et de l’Autriche unies, une ligue pour le maintien de la paix générale et du statu quo européen. C’était un projet qui ne manquait pas de grandeur et dont personne n’aurait eu à se plaindre, la Prusse moins que tout autre, puisqu’elle eût été libre de s’y faire comprendre avec ses conquêtes récentes ; extension à laquelle, après s’être beaucoup récriée, l’Autriche avait fini par consentir. Mais où l’accord avait été plus malaisé à établir, c’était sur la question de savoir si le même appel serait adressé à l’Angleterre. Au nom de la France on s’y opposait absolument, au moins tant que durerait le conflit américain, par ce motif qu’on ne pouvait faire entrer dans une union pacifique deux puissances en guerre l’une contre l’autre. L’argument n’était pas sans valeur ; il n’en était pas moins pourtant très dur pour l’Autriche de signifier son congé à une ancienne alliée, tandis que la France continuerait à ménager et à garder tous les siens. On comprend qu’il eût fallu à Kaunitz, pour se résigner lui-même à une telle inégalité, une confiance obstinée dans les avantages futurs de l’alliance française, et, pour la faire accepter à la conférence de Vienne, toutes les ressources de son habileté. Il y avait réussi cependant, ’et un courrier parti de Vienne le 27 janvier apportait à Stahremberg l’autorisation d’adhérer à cette condition vraiment léonine, avec la seule réserve de protester d’avance contre tout ce qui pourrait menacer l’intégrité du territoire germanique[1].

Disons aussi, pour ne rien omettre, qu’à cet envoi était joint un billet de Kaunitz lui-même pour rappeler à Mme de Pompadour que certaine dame la plus aimable du monde lui avait promis son portrait trois ans auparavant et qu’il l’attendait encore.

Kaunitz avait-il été averti à cette date, du 27 janvier, de ce qui se passait à Londres dix jours auparavant, le 16 du même mois ? Il est assez naturel de le croire, le ministre autrichien dans cette capitale étant très en éveil sur tous les rapports de la légation prussienne et de la secrétairerie d’État britannique, et ayant à son service une police de renseignemens très bien faite ; et il n’avait, d’ailleurs, pour être au courant de tout, qu’à prêter l’oreille aux bruits des couloirs parlementaires et aux indiscrétions de la presse. Je m’abstiens pourtant d’une supposition dont

  1. Bernis, Mémoires, t. I, p. 243. — D’Arneth, t. IV, p. 407-414. 500. — Kaunitz à Stahremberg, 21 janvier 1756 (Archives de Vienne).