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Cornouailles, de la Cambrie, du pays de Galles, de la Bretagne française ou Armorique, tous les Bretons en un mot, tous les Celtes, accoururent se ranger sous la bannière en forme de dragon du roi Arthur en criant : « Notre nation se relèvera et chassera les Saxons ! » Non seulement Arthur chassa les Saxons, mais il conquit successivement le Danemark, la Norvège, la France, et fit reculer les Maures. Ce fut une espèce de Charlemagne breton. Il favorisa l’ordre fameux des chevaliers de la Table Ronde, tous égaux entre eux, tous ne formant qu’un seul cœur, tous preux éprouvés, consciences d’or, muscles d’acier, dont l’habit était fait de quatre étoffes : « le courage, la richesse, l’adresse et la courtoisie. » Ces chevaliers, Lancelot, Gauvain, Ivain, Keu, Tristan, neveu du roi Mark, Perceval chevalier du Graal, Ider, Bedivere, Galahad, Modred et bien d’autres, réunis à la cour du roi Arthur, à Camelot, étonnaient le monde par leurs exploits. Toutes les fois qu’ils entendaient parler d’une dame à protéger, d’un géant à humilier, d’une guivre ou d’un dragon à décapiter, d’une gageure extraordinaire à tenir, l’un d’eux partait et lorsqu’il revenait vainqueur, c’étaient des fêtes et des tournois sans fin.

Un jour, tandis qu’ils étaient réunis dans une salle, à Camelot, un grand bruit ébranla les voûtes, une vive lueur éblouit les yeux, et le Graal, cette coupe où but Jésus à la Sainte-Cène, et qui fut rapportée en Angleterre par Joseph d’Arimathie, passa comme un éclair. Tous les chevaliers jurèrent de le revoir. Vainement le roi les supplia-t-il de ne pas l’abandonner dans sa vieillesse. « O mes chevaliers, quand vos places seront vides à mes côtés, s’il s’élève quelques plaintes dans mon royaume, elles resteront sans écho, tandis que vous serez à courir après des feux errans ! » Ils partirent à la Queste du Graal, et, au bout d’un an, trois seulement revinrent exaucés, ayant pu joindre l’objet de leurs désirs. Les autres avaient suivi des « flammes errantes. » L’ordre fameux était décimé. Le déclin du règne commençait : cette expédition du Graal avait été son 1812. Alors la trahison se glissa parmi les preux de la Table Ronde. Lancelot, le plus vaillant et jusque-là le plus fidèle, fut pour le roi Arthur ce que Tristan était en même temps pour le roi Mark, en Cornouailles, et sans l’excuse du « boire amoureux. » — La reine Guinevere, surprise avec Lancelot, s’enfuit dans un couvent où on la recueille sans la connaître et où elle apprend, par une jeune novice, que tout le royaume est en feu à cause d’elle. Modred a levé l’étendard de la révolte. Lancelot n’est plus là pour défendre le vieux roi. Les Saxons tentent un retour offensif. Il va se livrer un combat suprême. À ce moment, les pas d’un chevalier retentissent sur les dalles du cloître : Guinevere comprend que c’est le roi qui