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1835 à 1853 où le nombre de gallons taxés (le gallon vaut 4 litres et demi) est tombé de 31 400 000 à 30 164 000, malgré l’accroissement de la population ; une seconde fois, de 1878 à 1892, où le produit cumulé des droits de douane et des droits d’excise sur les spiritueux a fléchi de 20 675 935 liv. sterl. (environ 517 millions de francs) à 20 121 535 liv. sterl. (approximativement 503 millions de francs), quoique dans l’intervalle la population ait passé de 33 943 773 âmes à 38 109 329[1], plus de 12 pour 100 d’augmentation; la consommation des spiritueux s’est donc réduite dans cette dernière période de 15 pour 100 par tête, sans prohibition absolue. On doit considérer comme une excentricité la législation célèbre de l’Etat de Maine, dans la fédération américaine, qui prohibe toute vente de boissons spiritueuses (vin compris) et remet à un fonctionnaire public le soin d’en délivrer exceptionnellement pour des objets très restreints, déterminés par la loi. Il y a là une présomptueuse incursion du législateur sur le domaine privé. On a remarqué, d’ailleurs, que la restriction de la consommation de l’alcool a été accompagnée par un énorme développement de l’opium et de la morphine (en 1880, 206 grammes d’opium et 24 grammes de morphine par tête dans la ville d’Albany, contre 43 grammes d’opium en 1855)[2].

Ainsi le pouvoir de taxation, en ne poussant jamais les droits au de la du point qui peut produire le maximum de rendement, est le seul moyen auquel l’Etat puisse légitimement recourir à l’endroit des denrées qui sont universellement reconnues comme dangereuses, à la condition que le danger ne soit pas seulement pour l’homme qui en fait usage et en abuse, mais, par voie de répercussion, pour la société en général. Encore l’État doit-il être très circonspect en pareille matière.

Ce n’est pas à dire qu’on ne puisse taxer aussi certains objets de luxe inoffensif; ceux-ci peuvent être soumis à un impôt, en qualité de symptômes de la richesse. En Angleterre et en France il y eut des impôts sur la poudre aux cheveux; dans le premier de ces pays, il en existe encore sur les armoiries; il y en a fréquemment sur les objets d’or et d’argent, les cartes à jouer, les billards, les chevaux, les voitures, les domestiques mâles, etc. ; on en a mis en Hollande sur les tulipes au beau temps de la manie pour ces fleurs. Certains de ces impôts peuvent se justifier ou s’excuser, non pas à titre de prohibition ou de restriction du luxe, ou d’intervention de l’Etat dans le choix des consommations, mais comme portant sur des signes assez précis de la richesse.

  1. Statistical Abstract for the United Kingdom, 1892, pages 16 et 220.
  2. Roscher, Grundlagen der Nationalökonomie, 17te Auftage, p, 597.