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En France, les taxes de ce genre produisent aujourd’hui une quarantaine de millions[1].

Quand ces taxes frappent modérément des objets qui se manifestent à l’extérieur ou dont soit la production, soit l’existence peut être vérifiée aisément sans inquisition, que d’ailleurs elles ne portent pas sur des minuties, on peut les tolérer. Mais il ne faut pas aller au delà. Les taxes somptuaires ont beaucoup d’inconvéniens : d’abord les goûts variant sensiblement d’une génération à l’autre, il arrive que le produit de la taxe va souvent en s’évanouissant, ce qui a été le cas pour l’impôt sur la poudre aux cheveux en Angleterre qui, après avoir rapporté plus d’un million de francs par an, fut aboli quand il ne produisait plus que 25 000 francs. Les droits sur les armoiries et les domestiques mâles ont été aussi en diminuant dans la Grande-Bretagne. C’est folie d’attendre beaucoup des taxes de ce genre; un impôt n’est très productif que lorsqu’il a une base très large, c’est-à-dire qu’il atteint la généralité des habitans ou des fortunes. Si les droits sur ces articles sont très élevés, on pousse à la fraude ou l’on met en jeu la loi de substitution.

Une certaine école, qui préconise l’impôt sur les capitaux et les jouissances, veut assujettir à des taxes les objets d’art, les collections, les bijoux, les bibliothèques et les meubles. De tels droits existent dans quelques pays : ou bien ils ne sont guère que nominaux à cause de la fraude, ou ils exigent une perception inquisitoriale, ou ils diminuent la valeur des objets taxés et en restreignent la production, ce qui n’est pas sans inconvénient pour certaines industries d’art et pour les artistes eux-mêmes. Le plus souvent, ce sont des taxes d’ostentation et de peu de produit, des taxes arbitraires, en outre, et incertaines en ce sens que l’impossibilité de vérifier exactement la matière imposable rend cette taxation prodigieusement inégale suivant les degrés de conscience des contribuables.

Des impôts directs annuels sur des objets non productifs de revenu, s’ils étaient exactement perçus, finiraient par supprimer ou restreindre beaucoup l’usage d’objets dont la production et la jouissance raffinent la société, sans préjudice pour personne. Aussi ne saurait-on approuver l’intervention de l’État dans les consommations, en dehors des quelques cas très spéciaux que nous avons indiqués et qu’il ne faut pas étendre. Adam Smith a signalé avec raison la contradiction où se mettent les gouvernemens quand ils prétendent interdire le luxe aux particuliers :

  1. Voir notre Traité de la Science des finances, t. II, p. 427 à 441. Voir aussi pour des taxations bizarres sur le luxe : E. de Parieu, Traité des impôts, passim.