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influences de son vainqueur ; il garde évidemment les traditions françaises du vieux temps, auxquelles les épices créoles sont loin de nuire. De la plus humble case nègre s’échapperont toujours des arômes de cuisine appétissans ; c’est tout le contraire dans les intérieurs rustiques du Nord. Un peintre de paysage, retourné à New-York après avoir longtemps habité la France, me déclarait son intention de nous revenir, non pas seulement par désespoir de soumettre aux exigences de l’art cette campagne américaine où manquent les détails et qui est à ses plus beaux momens d’un éclat si tapageur (gaudy), mais surtout parce que son estomac ne pouvait supporter la nourriture des auberges de village. O Barbizon ! ô Marlotte ! ô Douarnenez ! ô humble paradis des artistes ! combien vous étiez regrettés, vous et les paysannes en marmottes ou en bonnets qui de génération en génération se passent le secret de l’omelette et de la gibelotte sans défaut ! Il n’y a point de bonnets ni de marmottes, il n’y a point de paysannes aux États-Unis. À un match de foot-ball engagé entre deux villages de l’État du Maine, j’ai vu la foule des ruraux, pareille en tout point à une foule bourgeoise et réunie d’ailleurs pour un genre de sport qui est le plaisir favori de toutes les classes indistinctement. Le foot-ball entre les universités de Yale et de Harvard remplit les journaux pendant près d’une semaine. Cette partie-là se faisait avec moins de solennité sans doute, mais avec tout autant d’entrain de la part des joueurs et des spectateurs, parmi lesquels il y avait beaucoup de spectatrices. Les premiers, de beaux gars dans leur tenue de combat, reprenaient ensuite d’affreux pardessus qui leur donnent l’air horriblement commun. Les jolies demoiselles de campagne étaient élégantes à l’égal des ouvrières des villes, qui portent les dernières modes et souvent des étoffes assez chères, des fourrures, des bijoux : pourquoi pas, s’il leur plaît de transformer en toilette tout ce qu’elles gagnent ? Une dame de Philadelphie m’a conté qu’elle avait cru devoir prier sa femme de chambre de ne pas servir à table avec des diamans aux oreilles.

— C’est mon goût de porter ma fortune sur moi, répondit tranquillement la jeune fille. — Et c’est mon droit de vous congédier, riposta sa maîtresse.

Il faut considérer que la classe des domestiques n’exista pour ainsi dire pas aux États-Unis pendant plus de deux cents ans. Jadis les Américaines mettaient leur gloire à s’occuper du ménage ; mais ce temps primitif est loin ; il correspond à celui où les femmes n’étaient pas autorisées à enseigner et ne montraient leurs capacités sous ce rapport que dans les écoles du dimanche, sunday schools. L’Amérique alors était pauvre ; avec la richesse