Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 126.djvu/607

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Armstrong, le nègre est ce que l’a fait son passé. » Conjurer ce passé, remédier aux influences de l’hérédité et du milieu, mettre à l’épreuve le caractère, à la formation duquel il tenait mille fois plus encore qu’au travail rémunérateur et intelligent, puis envoyer au loin une élite, prêcher de bouche et d’exemple, tel était le but du général. Il lui a consacré sa noble vie et il est mort content l’année dernière, en demandant le simple enterrement d’un soldat, une place dans le cimetière de l’école au milieu de ses étudians, sans distinction d’aucune sorte, sans qu’aucun éloge fût prononcé sur sa tombe. Voici quelques-unes des dernières paroles qu’on ait recueillies de lui : « Je ne tiens pas à une biographie… ce n’est jamais la vérité tout entière. La vérité d’une vie est profondément cachée… à peine nous-mêmes la connaissons-nous, mais Dieu la connaît : j’ai foi en sa miséricorde. — Hampton a été pour moi une bénédiction ; il m’a donné pour aides et pour amis les meilleurs d’entre mes concitoyens, et c’était une bonne fortune que de pouvoir faire quelque bien à tout ce monde libéré par la guerre, de pouvoir aussi servir indirectement les vaincus… Peu d’hommes ont été heureux autant que moi. Je n’ai jamais eu de sacrifice à faire. J’ai été, semble-t-il, guidé en tout. La prière est la grande puissance de ce monde ; elle nous retient près de Dieu : ma prière à moi était inconstante et faible ; c’est pourtant ce que j’ai eu de meilleur. Et maintenant je suis curieux d’entrevoir un autre monde. Tout y sera sans doute parfaitement naturel. Comment peut-on craindre la mort ? C’est une amie. Dieu et la patrie d’abord, nous-même après… »

Cet aperçu des sentimens du général Armstrong est peut-être utile pour faire comprendre ce qu’a été son influence sur environ 150 000 étudians des deux sexes, — nous comptons ceux de toutes les écoles fondées par des gradués de Hampton sur le modèle de la maison mère, dans l’Alabama, la Virginie, la Caroline du Nord. D’autres élèves de l’Institut, hommes ou femmes, font œuvre de missionnaires dans la Floride, le Kentucky, la Caroline du Sud et le Texas. À Hampton même, il y a aujourd’hui 650 élèves de dix-huit à vingt-deux ans, dirigés par 80 officiers et instructeurs dont une moitié est répartie dans les divers départemens industriels.

Ne semble-t-il pas merveilleux qu’entre garçons et filles de cet âge et de cette race, logés sans doute dans des bâtimens séparés, mais se rencontrant à chaque instant, en classe, aux repas, aux divers meetings, nul scandale ne se soit jamais produit ? Faut-il croire que la présence d’un juste tel que Samuel Armstrong agissait sur eux comme l’ombre même de la présence divine ? La tâche du Révérend