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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 126.djvu/609

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favorisé l’agriculture et que l’exploitation des bois de charpente soit l’affaire principale.

Peut-être l’excellent esprit de cet Institut modèle conjurera-t-il quelques-uns des périls causés par la présence en Amérique de huit millions d’individus qui n’ont pas demandé à y venir, mais qui ne se laisseraient point expulser. Les nègres convenablement instruits trouveront pour vivre des débouchés nouveaux, et surtout ils auront profité de la meilleure des gymnastiques morales, celle qui consiste à gagner tout ce qu’on dépense, à travailler de ses bras la journée entière pour avoir le privilège d’étudier le soir, dût-on mettre des années et des années à conquérir laborieusement le savoir envié. Certains étudians, après avoir exercé des métiers au dehors, reviennent, et à plusieurs reprises, sur les bancs des classes. Ceux-là, il me semble, affirment mieux qu’ils ne le feraient par de grands talens le développement de la race noire. Une persévérance, une énergie pareille vaut plus que l’instruction supérieure acquise dans les universités de Lincoln et de Howard, de Fisk et d’Atlanta, instruction qui, par parenthèse, si elle lui donne d’autres droits, n’assure au petit-fils d’esclave qui la possède ni le privilège d’entrer dans un salon, ni celui de s’asseoir seulement dans une loge au théâtre. Il est parqué, à son rang, dans les chemins de fer même, où sont pourtant censées n’exister ni premières, ni secondes classes, mais où partout vous remarquez cette insolente distinction : salle d’attente pour les gens de couleur.

— Au Sud seulement ! me dira-t-on.

Qu’on me permette, pour donner l’idée des sentimens du Nord sur ces matières, de répéter une anecdote contée avec verve par un des administrateurs de Hampton, M. Marshall. Boston ayant témoigné par des largesses l’intérêt qu’il prenait au succès de l’Institut agricole, il fut décidé qu’un meeting aurait lieu dans cette ville le 27 janvier 1870 : le général Armstrong devait s’y rendre accompagné d’un orateur nègre, M. Langston. Celui-ci arriva le premier pendant la nuit au Parker House. Lorsque le maître de l’hôtel découvrit le lendemain avec dégoût qu’il avait chez lui un homme de couleur, il prit, sans la moindre hésitation, le parti de l’expulser : malheureusement les principaux notables de la ville rendaient visite à ce paria, dans le moment même ; on dut attendre leur départ pour procéder à l’exécution ; il en vint d’autres et si nombreux que l’occasion de mettre un nègre à la porte se trouva manquée décidément, mais M. Langston est resté le premier homme de couleur qui soit jamais entré comme hôte au Parker House. Même émotion dans les cafés où la