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horde des garçons fut tout près de prendre au collet « le nègre » devenu depuis lors ministre des États-Unis à Haïti.

Même aujourd’hui, dans cette ville si libérale de Boston, voyez si le moins foncé des mulâtres, à moins qu’il ne représente une célébrité, un lion quelconque, osera profiter des droits qu’en principe on lui accorde. Imaginez le nègre, fût-il un grand homme, aspirant à la main d’une blanche de l’Est ! Comme on le renverrait avec dédain aux dames du Sud dont la réponse, si, bonnes et charmantes qu’elles puissent être, aurait toute la férocité d’une application de la loi de lynch ; or, on sait avec quels raffinemens de cruauté cette loi sauvage punit le nègre coupable d’avoir convoité une blanche jusqu’à la dernière extrémité ; il n’y a qu’à se reporter à de récens et hideux exemples dont l’Ouest fut le théâtre.

Du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest, le nègre n’est toléré aux États-Unis qu’à la condition de se tenir à sa place, et il deviendra très difficile de déterminer la place où doit rester un homme égal par son instruction et sa carrière aux plus distingués. — Une solide éducation primaire, une éducation industrielle ensuite, paraît donc être ce qu’il faut souhaiter dans son intérêt à la population de couleur, hommes et femmes ; le général Armstrong l’avait compris, tout en ouvrant la voie aux exceptions résolues à monter plus haut quand même, quitte à souffrir. Des annales méthodiquement rédigées enregistrent l’œuvre accomplie par tous ses anciens élèves dispersés dans le monde, depuis les simples artisans jusqu’aux ministres de la religion, jusqu’aux avocats, médecins, employés du gouvernement, artistes (les musiciens sont assez nombreux).

Si je n’ai pas dit que sur les 650 élèves de Hampton, il y a 132 Indiens, c’est que je me réserve de parler plus tard de l’admirable école de Carliste où ceux-ci sont réunis en foule, sans mélange de condisciples nègres. « L’amie des Indiens », miss Alice Fletcher, y introduira mes lectrices, comme elle fit en réalité pour moi. Sans les explications qu’a bien voulu me donner sur le sujet qui remplit sa vie cette femme charitable autant que savante, je n’aurais compris qu’à demi la beauté de l’œuvre du capitaine R. H. Pratt, émule du général Armstrong, son associé pour ainsi dire dans l’œuvre du relèvement des « races méprisées ».


TH. BENTZON.