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c’est-à-dire tous ceux qui peuplent le pays compris entre l’Oural et le désert de Gobi, depuis le bassin de la mer Glaciale jusqu’aux plateaux du Pamir, sont désignés indistinctement sous le nom de Kirghiz. Ce mot d’ailleurs ne préjuge rien au point de vue ethnographique : il veut dire simplement « nomades ». Les Kirghiz de la montagne, c’est-à-dire ceux qui habitent les monts Tian-Chan, l’Ala-Taou, le Pamir et les chaînes voisines, portent le nom de Karakirghiz, ou Kirghiz noirs ; on les nomme aussi Kiptchaks. Parmi les Kirghiz de plaine, ceux qui habitent entre l’Oural et le Syr-Daria sont appelés Kirghiz-Kaïzaks, mot qui a la même étymologie que le nom russe Cosaque, et qui signifie cavalier. Ils sont robustes et trapus, leur crâne est large et déprimé, ils ont les pommettes extrêmement saillantes, la bouche proéminente, le nez petit et épaté, la barbe courte et rare. Leurs yeux se réduisent à une fente étroite. Leur peau est plus ou moins basanée et varie de couleur, selon l’expression du peintre Verechtchaguine, qui les a bien étudiés, depuis la nuance brune de la peau de l’Européen méridional jusqu’à la couleur du bois brûlé.

Le vêtement de tous les Kirghiz consiste en un touloupe, ou khalat très ample, en peau de mouton, et en un large pantalon de cuir, appelé tchaldavar. Ces pantalons de cuir se portent surtout pour la guerre ou le voyage. Ils sont d’une ampleur démesurée et se mettent par-dessus tous les autres vêtemens, qui les rembourrent intérieurement. Cette circonstance, jointe à la dureté naturelle du cuir, leur permet de parer un coup de sabre. On les fait soit en peau de mouton, soit en peau de buffle. La couleur est tantôt celle des anciens vêtemens de buffle en usage chez nos hommes d’armes, tantôt un rouge vif obtenu par la teinture. Ils sont, en outre, couverts de broderies en soie, de nuances éclatantes, représentant les fleurs ou les astres les plus fantastiques. Les femmes kirghizes emploient à ce travail une patience inouïe et y dépensent un temps considérable et bien peu rémunéré[1]. Comme coiffure, ces nomades portent, tantôt simplement des tépés, très élégamment brodés par leurs femmes, tantôt de petits bonnets de peau ou de feutre, doublés et bordés de fourrure.

Les Kirghiz paraissent être actuellement les représentans les plus purs du type altaïque. Leur vie entière se passe à cheval. Ils

  1. Ce tchaldavar mongol a certainement été l’origine première d’un vêtement militaire dont le nom bizarre a exercé la sagacité de bien des spécialistes. Nous voulons parler du charivari, le large pantalon boutonné latéralement, que la cavalerie française avait emprunté aux Croates pendant les guerres du XVIIIe siècle, qui devint réglementaire en 1760, et qui fut usité jusqu’au temps de l’Empire, époque où il fut remplacé par la botte ou par le pantalon dit » à la Lasalle », du nom de son inventeur, le général Lasalle. (Note de l’auteur.)