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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/203

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Érigée dans le songe, immobile, elle vit — l’atroce femme aux mains coupées. — Et devant elle rougeoient deux mares — de sang, et les mains vivantes — y sont, pas même souillées d’une goutte.)

D’autres, pareilles aux mains de Marie, — furent comme les hosties saintes. — Le diamant brilla sur leur annulaire — dans les gestes graves d’une liturgie, et jamais à travers les cheveux d’un amant.

D’autres, on les eût dit viriles, que nous serrâmes — fort et longtemps, éloignèrent de nous — toute peur, toute passion obscure ; — et nous aspirâmes à la Gloire, et nous vîmes en nous — s’illuminer l’œuvre future.

D’autres encore nous donnèrent un profond — frisson, celui qui n’a pas d’égal. — Nous sentîmes alors que dans leur frêle — paume elles pouvaient contenir un monde — immense, et tout le Bien et tout le Mal.


Pour faire mesurer les ressources de ce talent, je devrais extraire du Poème Paradisiaque quelques strophes moins acres, d’une grâce plus facile : par exemple, la Promenade, Tristesses ignorées, le Joug.


… Sur le balcon s’effeuillaient — les roses ; mais les couronnes — des astres brûlaient dans l’azur — avec un éclat qui parut — insolite à mes yeux. — Tout, alors, à mes yeux, — parut insolite et grand ; — et les voix du soir — vinrent toutes à mon — âme. Je dis : Maria ! — Je le dis. Et ce nom n’était — qu’un souffle, mais il portait en lui — une immensité de choses — souveraines. Et tandis que les roses — mouraient, et que palpitait — le ciel, et qu’elle demeurait muette, — je me sentis imposer son joug…


Mais à quoi bon ces impuissans essais de transposition ? j’en ai dit assez du poète, si j’ai attiré sur lui l’attention de quelques amateurs, préparés à le goûter dans l’original. Passons au romancier, plus intéressant pour le grand public. Les poésies nous ont révélé l’esthétique et la sensibilité particulière de leur auteur ; les romans vont nous faire connaître tout l’homme.


II

Il n’y a pas d’indiscrétion à l’apercevoir dans les personnages de ses fables. M. d’Annunzio nous amis à l’aise ; il a pris soin de nous aviser, par lettres publiques, qu’André Sperelli, le héros de Il Piacere, lui ressemblait comme un frère. Soin bien inutile : la franchise de l’autobiographie éclate dans ce roman, comme dans les suivans. Non pas que je veuille charger l’écrivain des crimes cérébraux qu’il prête à Tullio Hermil et à George Aurispa, les meurtriers par amour de l’Innocent et du Triomphe de la Mort ; ce sont là fictions indifférentes, évidemment plaquées sur des personnages très réels, — sur un seul personnage. Il s’appelle tour à tour André Sperelli, Tullio Hermil, George Aurispa, mais il reste identique à soi-même par l’essentiel de l’être, il reparaît dans