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pieusement[1] ; il cherche en tout l’âme de la Rhétie, et dans toutes les vieilles choses il la trouve, cette âme catholique et démocratique, et il la voudrait souffler vivante dans les choses toutes nouvelles. Positivement, il est comme une incarnation de ce petit pays et de ce petit peuple devant les grandes questions qui agitent et qui travaillent l’univers contemporain.

C’est sa force aux Grisons, c’est sa faiblesse ailleurs. Qu’est-ce donc, après tout, que le catholicisme social ? Pas autre chose ou guère plus qu’une variété du socialisme d’État, mais qui, en plus de ce que supposent les autres, suppose un État chrétien, qui est, somme toute, l’État du moyen âge. Or, il faut l’avouer, si cet État chrétien du moyen âge s’est maintenu quelque part en Europe, c’est ici, c’est dans les Grisons. Quand le socialisme y pénètre, il y rencontre des institutions politiques et économiques où il s’encadre, auxquelles il s’incorpore ; il passe d’autant plus aisément dans l’État grison, que c’est, au résumé, la commune grisonne, une commune encore profondément marquée à l’estampille d’un collectivisme primitif. La redoutable question, la question sociale, y reçoit, sans trop de difficulté, une solution ou demi-solution historique et, si l’on peut le dire, organique. Mais, de toute évidence, cette solution ou cette demi-solution, elle n’est possible que là où, comme ici, on a en face de soi une démocratie paysanne, religieuse, traditionnelle, pleine de vénération pour les formes anciennes, peu soucieuse de se moderniser, ferme et comme momifiée dans le même idéal ; une démocratie qui est un assemblage de communes et d’associations, solide, à l’épreuve des siècles, enduite au dedans et au dehors du double ciment de la liberté et de la foi ; une démocratie qui, elle-même, est organique et historique. C’est le cas pour la démocratie grisonne, c’est plus ou moins le cas pour la démocratie helvétique, en général.

La conséquence en est que, pour la Suisse, les grands problèmes contemporains les plus urgens et les plus inquiétans ne se posent pas avec autant d’acuité, ne paraissent pas aussi gros de hasards et de risques que pour le reste des nations européennes, États centralisés où la commune est morte, où l’association n’est refaite que d’hier, monarchies ou empires à peine démocratiques, ou bien démocraties toutes récentes et inorganiques.

  1. Outre la Rätoromanische Chrestomathie, qui fait pour tous les dialectes romanches (Surselvisch, Subselvisch, Sursettisch) ce que Alfons de Flugi n’avait l’ait que pour la littérature engadinoise et qui complète ce que les PP. de l’abbaye de Disentis ont fait pour les chants d’église avec leur Cudisch de Canzuns, M. G. Decurtins a publié nombre de dissertations et de morceaux choisis sur la vallée du Vorderrhein, entre autres : Die Disentiser Kloster-Chronik des abtes Jakob Bundi ; Lucerne, 1888, et une étude sur le Landrichter Nikolaus Maissen, etc.