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organisation avait été transportée comme un engin de lutte dans les pays de régime féodal où la France avait implanté le drapeau victorieux de la Révolution.

Avec un dédain complet des formes de la vie nationale et traditionnelle des petites provinces européennes, Napoléon, après avoir remanié, régularisé, complété l’organisme, en avait fait un article d’exportation, dans son ignorance volontaire et dédaigneuse des formes sociales qui subsistaient dans la vieille Europe. Espagne, Hollande, Allemagne, Italie, il avait cru supprimer les nations en y transportant en quelques décrets bâclés l’ensemble des lois qui représentaient la dernière forme donnée par la Révolution à la centralisation française.

Si cette œuvre d’adaptation hâtive a pu laisser après tout tant de traces durables, c’est qu’il y avait dans ce vieux fouillis féodal un besoin, une soif ardente de clarté, d’uniformité et d’égalité ; c’est qu’il y avait aussi dans les idées révolutionnaires, dans les idées d’égalité civile qui répondaient à un besoin de justice longtemps inassouvi, une force de propagande que la puissante commotion intellectuelle et matérielle imprimée à l’Europe par la Révolution française avait décuplée.

Non seulement dans les États vassaux de la France, dans les royaumes annexés, Napoléon importait ses codes et ses préfets ; mais même dans des États moins ouvertement asservis, des ministres indigènes, comme Montgelas en Bavière, allaient chercher spontanément les modèles français comme véhicules des idées modernes.

En Prusse, le phénomène est plus complexe et plus curieux. L’antagonisme entre la Prusse et la France avait été violent, et s’il était atténué dans les apparences par la nécessité, il n’avait rien perdu de son acuité. Ce n’était point seulement la rancune du vaincu contre le vainqueur, c’était une opposition intellectuelle portant partout ; les idées d’opposition et d’antagonisme contre la France avaient dominé et les premiers patriotes allemands comme Stein et les Prussiens indigènes comme Schön.

Mais le dilemme était si bien posé dans toute l’Europe entre la Révolution française et l’ancien régime, entre la féodalité et cette centralisation française qui avait seule réussi à broyer le régime féodal, que la Prusse était poussée comme en dépit d’elle-même vers l’imitation parfois presque servile des modèles français[1].

Bon nombre des administrateurs prussiens voulaient imiter l’Angleterre et ne point imiter la France ; mais ceux-là ou bien,

  1. Meier, Die Reform der Verwaltungs-Organisation unter Stein und Hardenberg, p. 472.