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Le système ancien des impôts en Prusse tenait de très près, par tout un côté, à l’organisation d’ancien régime, à l’organisation des biens nobles. Dans le cœur de l’Etat prussien, dans les Marches et en Poméranie, la charge de l’impôt foncier pesait tout entière sur ce que l’on appelait, d’un nom bien typique, la classe contribuable. Le nom de contribuable était réservé au paysan, au tenancier. La terre noble, le seigneur, étaient exempts de l’impôt foncier. Ainsi s’étaient maintenus au centre de l’Etat prussien, sur le terroir de Brandebourg, un privilège et une iniquité que même la vieille monarchie des Habsbourg avait fait disparaître en Silésie avant que la Prusse n’eût acquis cette province. Les provinces orientales de la monarchie, les provinces prussiennes proprement dites, avaient été soustraites à cette injustice. Mais, même là, la répartition élémentaire de l’impôt foncier était des plus défectueuses. Longtemps elle avait dépendu du bon plaisir pur et simple, de l’arbitraire du seigneur, qui taxait les parcelles à son gré. Depuis, dans le cours du XVIIIe siècle, la monarchie avait fait établir ce que le langage de l’époque appelait un cadastre ; mais ces travaux mêmes avaient offert bien peu de garanties : l’on s’était borné à une évaluation approximative du revenu des terres exploitées par un même contribuable. Et là même où ces travaux avaient présenté à l’origine quelque sécurité et quelque précision, ils n’avaient point tardé à perdre toute valeur. Les transformations successives avaient retiré toute sûreté à l’assiette de l’impôt ; la confusion était devenue extrême, et il paraît certain que cette confusion avait profité à l’aristocratie foncière. Sa situation dominante lui permettait facilement, même là où elle était assujettie à l’impôt foncier, d’échapper au contrôle et de dissimuler, en l’absence de tout plan cadastral, la matière imposable, lorsque tel était son intérêt.

Aussi sentait-on à merveille dans l’entourage de Hardenberg à quel point il importait, du jour où l’on voulait faire disparaître les iniquités sociales les plus flagrantes, de supprimer ce privilège. Le principe de l’égalité de l’impôt était inscrit en tête de tous les programmes. Il était sans doute plus facile à proclamer qu’à appliquer, une assiette équitable et précise de l’impôt foncier supposant presque nécessairement le long et pénible travail qu’exige l’établissement d’un plan cadastral. Mais c’est bien par là surtout que la réforme fiscale touchait à la lutte contre la féodalité, à la réorganisation sociale de la Prusse[1]. Ce fut aussi toute cette partie du programme financier de Hardenberg pour laquelle le manifeste du 27 octobre 1820 n’eut point de

  1. Treitschke. Deutsche Geschichte, I, p. 373. — Hausser. Deutsche Geschichte, III. p. 494.