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Carthage, Utique, Tunis, Maxula, Carpi et Missua, sur le bord ou à proximité de la mer, dans l’intérieur, Thuburbo, Giufi, Uthina, et beaucoup d’autres agglomérations plus modestes, dont l’épigraphie et les itinéraires nous ont appris les noms. Lorsque le prêtre de Saturne immolait sur l’autel les victimes préférées du dieu, un taureau et un bélier, il pouvait, du haut de la montagne, distinguer toutes ces villes couchées dans la plaine ou suspendues aux flancs des collines[1]. » On y a découvert le soubassement de l’autel qui occupait une superficie de 20 mètres carrés et les débris de près de 600 stèles, toutes du second siècle de l’empire, qui portent des inscriptions ou des symboles. Ainsi Rome n’a pas fait la guerre aux anciens cultes du pays. Ils ont été, sous sa domination, aussi florissans que jamais ; elle les a très favorablement accueillis, et même elle les a développés et propagés. Grâce à ses victoires, à l’étendue de ses conquêtes, les vieilles divinités de Carthage ont pénétré dans des contrées qu’elles n’avaient pas visitées encore. « Rome, dit M. Berger, a répandu la religion punique en Afrique, comme elle a contribué à la diffusion du christianisme dans le monde entier[2]. » Les anciens habitans n’avaient donc de ce côté aucun reproche à lui faire ; dans les inscriptions qui couvrent les stèles de Saturne, les noms romains abondent, à côté des noms puniques et berbères. Tous, vainqueurs et vaincus, se trouvaient réunis dans les mêmes cultes, ils fréquentaient les mêmes temples, ils gravissaient ensemble les pentes du Bou-Kourneïn pour y sacrifier aux mêmes dieux. Il arrivait donc que la religion, qui nous sépare si profondément des indigènes, était alors un lien de plus qui les unissait aux Romains. C’était une heureuse fortune à laquelle nous devons porter envie.


III

Ainsi il n’y avait rien entre les Romains et les indigènes qui en fît nécessairement des ennemis irréconciliables. Mais est-il vrai qu’ils se soient réconciliés ? Il nous faut interroger les inscriptions pour le savoir.

En Afrique, comme partout, les inscriptions les plus anciennes sont aussi les plus rares. On ne doit pas être étonné d’en posséder très peu qui remontent aux premiers temps de l’occupation. C’est avec l’empire qu’elles deviennent fréquentes et que la lumière se fait. On en a trouvé une dans les ruines de la ville de Masculula,

  1. Le Sanctuaire de Saturnus Balcaranensis, par M. Toutain, dans le Xe volume des Mélanges d’Archéologie et d’Histoire de l’Ecole française de Rome.
  2. Le Sanctuaire de Saturne à Aïn-Tounga, par MM. Ph. Berger et Cagnat.