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revendications sociales, à deux degrés successifs : parvenue sur l’échelon égalité, une classe lève aussitôt les mains vers l’échelon libertés politiques, qui signifie pour elle domination; tandis qu’au-dessous d’elle de nouveaux ascensionnistes se cramponnent déjà au barreau où elle vient d’assurer ses pieds.

Dans la Constituante, Lareveillère n’est encore qu’un ami de la philosophie, intraitable seulement lorsqu’il s’agit des « distinctions odieuses » et de « la superstition ». Il n’éleva guère la voix que pour combattre la motion de Malouet tendant à une démarche conciliatrice auprès des privilégiés, et pour demander l’abolition des ordres de chevalerie. Il n’en avait pas. Chez lui, comme chez beaucoup d’autres constituans, les opinions se prononcèrent dans les luttes irritantes de la vie provinciale, durant l’intérim que la Législative fit à ces hommes d’État en disponibilité. Autour de Lareveillère, la résistance vendéenne se dessinait déjà dans le Bocage. Orateur du club d’Angers, chef de légion dans la garde nationale, il se grisait au bruit de ses harangues; il revenait glorieux et enfiévré des premières reconnaissances dirigées contre les rassemblemens de paysans. Persuadé que ce mouvement populaire n’était fomenté que par des « intrigues de nobles et des jongleries de prêtres, » ses deux haines originelles s’exaspéraient. Quand les électeurs le renvoyèrent à la Convention, l’homme était mûr pour tous les entraînemens des patriotes, sinon pour les coups d’audace des montagnards et du Comité de salut public, trop contraires à son génie tempéré.

Il alla siéger à l’avant-garde des Girondins. Bien qu’il penchât pour le fédéralisme, il ne se laissa pas absorber par leur parti. Sa modération relative ne l’empêcha point de voter la mort du roi et de conseiller ce vote à ses amis. Lareveillère rapporte avec complaisance le long discours qu’il tint à Vergniaud et à quelques Girondins hésitans, dans une réunion privée : on n’y reconnaît guère le courage dont il se piquait d’habitude. — « Sans doute, leur dit-il en substance, si nous étions assurés d’une majorité imposante, il serait plus généreux de faire reconduire Louis à la frontière; mais combien nous sommes loin de l’heureuse position qui nous permettrait une conduite si noble et si sage tout à la fois! Ou Louis sera absous à une faible majorité, et nous demeurerons sans force contre la sédition démagogique que ce verdict soulèvera; ou il sera condamné, et les chefs de la majorité qui aura prononcé sa condamnation profiteront de leur victoire pour vous enlever toute popularité. Au contraire, si vous votez pour la condamnation, seul parti que vous laissent à prendre de si malheureuses circonstances, vos adversaires n’auront pas le plus léger prétexte pour faire soupçonner votre patriotisme