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ce terrible apostolat. J’aurais cru, cependant me manquer à moi-même, en lui cachant que j’avais souvent entendu nommer son beau-père avec avantage, en diverses sociétés de diplomates ; et qu’auprès de tous ceux qui l’avaient approché, il passait pour un homme rempli de sens et de science, et du commerce le plus sûr. J’ajoutai qu’en me paraissant tel à moi-même, ses manières aimables et son genre d’esprit m’avaient beaucoup plu.

A quoi lord Hyland me répondit plaisamment qu’il n’en savait pas sur lui aussi long que moi et qu’il était d’ailleurs d’autant mieux disposé à me croire qu’on ne pouvait être, en effet, spirituel, aimable et sage aux yeux des hommes qu’aux dépens de Dieu.


VII

Rome est la ville du monde où l’on va et où l’on retourne le plus volontiers. Les yeux et l’esprit y sont toujours satisfaits. Le fond est inépuisable. L’admiration ne s’y lasse jamais. Tout ce que les papes y ont laissé en est cause et aussi la belle antiquité. Rome est encore la ville du monde où, à la rencontre, on se lie le plus facilement. Partout ailleurs ceux qu’on coudoie sont trop affairés, les intérêts trop divers, les préoccupations trop différentes. Aucune idée commune et, dans cette fièvre et cette confusion, nul recueillement, nul repos possible, nul attendrissement. A peine a-t-on le loisir de s’attacher à ceux que l’on fréquente le plus. Faute d’attention on les connaît mal, ou peu, ou point. A Rome, au contraire, les inconnus eux-mêmes ne nous sont ni si étrangers ni si indifférens. Echappés, comme nous, aux soucis immédiats, ils ont fait trêve, et venus pour voir, ils voient et, à leur façon, ils comprennent. Un air plus subtil s’exhale de la terre qu’ils foulent. En s’insinuant en eux le passé les décharge d’eux-mêmes. Devant cette même Vénus, en cette même chapelle, la même pensée qui les y a conduits apaise les plus agités, délie les plus épais, ennoblit les plus vulgaires. Et si parmi la foule, il s’en trouve de meilleurs, de mieux préparés, ils se devinent, ils se rapprochent, ils osent se parler. Entre eux, le fil mystérieux se noue, la sympathie les lie et, pour peu que l’occasion s’y prête, l’amitié enfin les rassemble.


C’est ce qui m’était arrivé avec sir William. Après nous être plusieurs fois surpris aux mêmes musées, nous nous étions abordés en divers salons où l’aimable accueil encourageait notre présence. Je lui avais d’abord paru plus sérieux, sans doute, qu’il ne s’y attendait de la part d’un Français, comme lui m’avait semblé