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REVUE DRAMATIQUE

GYMNASE : L’Age difficile, comédie en trois actes de M. Jules Lemaître.
COMEDIE-FRANCAISE: Le Pardon, comédie en trois actes de M. Jules Lemaître.

Cette quinzaine nous a apporté deux comédies de M. Jules Lemaître. Les délicats ne se plaindront pas. A vrai dire ni l’une ni l’autre ne nous a entièrement satisfaits ; mais elles contiennent des parties remarquables, et, alors même qu’il se trompe, M. Jules Lemaître reste infiniment séduisant. Ces deux comédies sont par le système de composition et par l’apparence extérieure assez différentes. L’Age difficile est l’étude d’une crise morale ; c’est aussi une comédie de mœurs du genre qu’on est convenu d’appeler « bien parisien. » Un « vieux marcheur, » une jeune détraquée, un Alphonse de manières distinguées, y figurent les spécimens les plus modernes d’une société qui, paraît-il, est la nôtre et que l’Europe aurait tort de nous envier. Comment ces passagers du dernier bateau parisien peuvent-ils être en intimité avec les autres personnages de la pièce, gens de vie paisible et d’allure bourgeoise, et comment ont-ils pu « s’accrocher » avec eux ? On ne le voit pas clairement. C’est une disparate qui nous gêne. Certaines situations scabreuses, des mots d’une crudité voulue, une tirade d’un cynisme sans gaîté, sont des concessions à l’esprit du boulevard. Cela fait contraste avec l’esprit qui est proprement celui de M. Jules Lemaître, tout d’élégance et de discrétion. De là une impression d’incohérence. Elle est encore augmentée par la nature de l’interprétation. La présence de Mme Judic, si charmante du reste sous ses cheveux blancs, réveille en nous je ne sais quels souvenirs d’opérette. Mme Judic est restée la fine diseuse que l’on sait : elle détaille la prose de M. Lemaître comme elle faisait les couplets de jadis. C’est au Théâtre-Libre que nous fait songer M. Antoine; rien de plus amusant d’ailleurs que de voir le jeu de M. Antoine à côté de celui de M. Dieudonné : c’est le rapprochement ironique et l’antithèse suggestive de deux poncifs. Les autres interprètes : M. Calmettes, Mlles Yahne et Lecomte, sont excellens. Il faut louer surtout M. Mayer pour la souplesse et le naturel de son jeu. M. Mayer est l’un des meilleurs comédiens que nous ayons aujourd’hui. — Le Pardon est uniquement une pièce d’analyse. Cela en fait l’originalité et la valeur. Pas de décors, pas d’épisodes, pas de mots d’auteur. Rien qui vienne distraire notre attention. Un dialogue direct où tous les mots portent. Une action