Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/159

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

juges qui restent, ou à leur défaut, parce qu’ils sont parens, des avocats de cette ville, ne peuvent pas exercer les fonctions que l’assesseur criminel paraît abandonner pour ne s’occuper que de son intérêt et de sa vengeance. »

Le fait est que Duval, avant de se rendre à Paris pour exhaler de vive voix ses plaintes, avait retiré du greffe et serré dans son cabinet les pièces du procès, de peur que quelqu’un ne s’avisât, en son absence, de juger les trois accusés.

Voici le texte de la prétendue rétractation qu’il avait fait signer au malheureux Moisnel[1] : « J’ai l’honneur d’atester, Monsieur le procureur général et à tous qu’il appartiendra que je n’ai aucune part au mémoire imprimé ou à la consultation signée Linguet et autres avocats, dattée du 23 juin 1766, pourquoi je désavoue les faits que contient ledit mémoire contre l’honneur des juges n’ayant donnés pouvoire à personne de publier de tels faits et je demande engrâce d’être jugé sans avoir égard au pleinte de requête civille et remission, présentés par le mémoire et la consultation que je désavoue. A Abbeville, le 8 juillet 1766. — Moisnel. »

Cette manœuvre fut déjouée par Linguet. Il écrivit à M. Joly de Fleury :

« Monseigneur,

« M. de Soicourt se prévaut, je le sais, auprès de vous de la rétractation du Mémoire qu’on a arrachée au malheureux petit Moisnel, mais on ne vous a pas appris sans doute que cette rétractation est nulle et illusoire. Moisnel est mineur ; c’est par son curateur que j’ai été chargé de prendre sa défense, et j’en ai les lettres. Le même curateur a donné un pouvoir en forme au sieur Moynat, procureur en la cour, d’occuper pour son pupille : c’était de lui qu’il fallait obtenir le désaveu si l’on voulait qu’il fît quelque impression, et non du petit innocent dont la tête est fournée dans l’obscurité du cachot, et qui en est déjà à sa cinquième rétractation depuis le commencement du procès. »

La partie redoutable qui s’engageait ainsi entre Linguet et Duval de Soicourt, et qui avait pour enjeu le sort des trois enfans, dépendait de la décision du Parlement sur le Mémoire de Linguet du 27 juin.

Publiquement accusé (car, malgré de Sartines, plusieurs

  1. Adressée au procureur général et, portant la date du 8 juillet 1766. Cette pièce, signée Moisnel, n’est point de la main de l’accusé. Elle paraît avoir été écrite par Duval de Soicourt. (Dossier Joly de Fleury.)