il quittait le commandement du camp d’Helfaut, formé sur la frontière de Belgique, Canrobert adressa aux troupes un ordre du jour un peu vif sur les éventualités extérieures qui pourraient permettre à l’armée de montrer ses qualités. La Bourse baissa. Les politiques et les agioteurs lui en touchèrent quelques mots, lorsqu’il revint aux Tuileries : « Ah ! dit le général en riant, j’ai pu faire baisser la Bourse ! Eh bien ! il faudrait qu’elle baissât beaucoup pour être au niveau de la mienne. »
Après les hésitations et les réserves chagrines de la première heure, Canrobert fut vaincu pas cette bonté qui gagnait tant d’amis à Louis-Napoléon. Un psychologue l’eût appelée nonchalance du cœur plutôt que bonté ; mais les effets étaient les mêmes. Le général se laissa nommer aide de camp du prince-président et garda ces fonctions auprès de l’empereur. Elles ne l’occupèrent guère, sauf pendant la période des fiançailles impériales. « J’étais de service et j’accompagnais mon souverain, qui journellement se rendait des Tuileries au palais de l’Elysée ; il y restait depuis le déjeuner jusque vers minuit. Mme de Montijo et moi, nous étions comme les chaperons des deux futurs, qui jamais ne s’éloignaient ensemble du grand salon, dont nous occupions un coin discret. » — Singulière grand’garde pour le vieil Africain ! Les sinécures convenaient mal à ses goûts actifs : la guerre de Crimée vint bientôt le rappeler à sa vocation.
Je ne m’étendrai pas sur cette page glorieuse. A partir de ce moment, les hauts faits de Canrobert sont dans toutes les mémoires, et ses notes, si modestes en ce qui le concerne, semblent rédigées avec le dessein de laisser dans l’ombre sa propre figure. Décidément, il n’avait pas profité à l’école du cousin Marbot. Le sort lui assigna les tâches les plus ingrates, au début de cette guerre et si mal préparée. D’abord le débarquement et l’installation de l’armée d’Orient dans les lignes de Boulair, aux Dardanelles. Manquant de tout pour ses soldats, exaspéré par l’inertie de ses alliés turcs, il allait à Constantinople secouer le grand vizir, et ne tirait de lui que la sage réponse des diplomates ottomans, une bouffée de chibouk. « Ecoutez, monsieur le grand vizir, tant que vous n’aurez pas raccourci le tuyau de vos pipes et diminué le nombre de celles que vous fumez, tant que vous n’aurez pas relevé le quartier de vos babouches et aboli la polygamie, en un mot tant que vous n’aurez pas retrouvé l’activité de vos terribles ancêtres, vos alliés français et anglais pourront bien essayer de vous venir en aide, mais il leur sera impossible de vous sauver. » — C’était beaucoup demander. Le grand vizir continua de fumer sa pipe, et l’armée d’Orient passa à Varna.
La division Canrobert, inutilement aventurée dans la