complétée le lendemain de la naissance du prince impérial, au dîner intime où l’empereur, levant son verre à la santé de Canrobert et de Bosquet, proclama les deux frères d’armes maréchaux. Ambassadeur extraordinaire, sénateur, maréchal de France, gouverneur de Lyon, où il succéda à son premier chef, le vieux Castellane, on payait Canrobert en honneurs : il eût préféré sans doute qu’on lui demandât de grands services. On ne les réclama qu’à demi, soit qu’il manquât d’intrigue pour les proposer, soit que son énigmatique souverain dissimulât sous les marques d’estime et d’amitié une rupture de la confiance intime. En Italie, le commandant du 3e corps ne fut pas poussé, sur l’échiquier piémontais, aux places les plus favorables à une action individuelle. Pourtant, il serait superflu de rappeler la part qu’il prit aux victoires de Magenta et de Solférino. S’il y eut des lenteurs dans la marche de ses troupes, un examen attentif des notes de Canrobert nous laisse douter que ces retards lui fussent imputables : des contre-ordres le retenaient, à l’heure où il devait et voulait jeter en avant toutes ses forces.
Ses notes s’interrompent avec ses derniers coups de canon heureux. Faisons comme elles : respectons son désir de silence sur le malheur. La rupture de confiance dont je parlais dut s’aggraver après l’Italie, puisqu’on ne fit pas de cette haute renommée l’un des premiers remparts contre l’invasion. Du rôle effacé qui lui échut alors, n’aurons-nous pas tout dit si nous constatons qu’il y continua son personnage de vaillante soumission et de perpétuel sacrifice ? Le seul jour où il eut les mains libres, on sait quelle jonchée de morts elles firent sur les champs de Saint-Privat. Quant à ceux qui lui reprochent de n’avoir pas pesé de toute son autorité sur des volontés défaillantes, ils ont bien peu étudié Canrobert. Peut-être ses premiers éducateurs, les grenadiers impériaux du 47e, avaient-ils trop brisé chez lui l’initiative sous une discipline de fer : de là ce rare et beau défaut, trop de renoncement personnel. Dans Metz comme devant Sébastopol, quand il n’était pas le premier, il ne savait qu’obéir, se taire… et souffrir de cette souffrance dont il a dit si sagement, si énergiquement, un jour qu’il réprimait certaines intempérances de patriotisme : « Un coup de pied au c… à celui qui en parle, deux coups de pied à celui qui n’y pense pas toujours ! »
Il y a pensé un quart de siècle, dans la retraite silencieuse et digne où il vivait, fidèle aux infortunés qu’il avait servis, presque oublié des nouvelles générations. De loin en loin, on revoyait cette tête de vieux lion, si puissamment sculptée, désignée par son relief à la curiosité respectueuse des foules. Toujours affable, aumônier de ses souvenirs, de ce long passé où