il y a un moment où devait être la force de notre armée : elle doit être dans la permanence et dans la fixité de nos effectifs de paix. Entre la thèse de M. Jules Roche et celle de M. Cavaignac, nous n’hésitons pas à nous ranger à la première. Tout n’est pas erroné dans la seconde. M. Mézières, qui a acquis par sa longue présidence de la commission de l’armée une compétence incontestée dans les questions militaires, a dit avec raison qu’il n’y avait pas entre elles de contradiction nécessaire. Sans doute : puisque nous devons avoir aujourd’hui une armée de plusieurs millions d’hommes, tous ne peuvent pas avoir la même valeur. Nous sommes condamnés à en avoir de plusieurs qualités pour en avoir assez. Mais il importe d’en avoir de meilleurs, afin de donner au mélange des uns et des autres plus de consistance et de solidité. Si la conciliation peut se faire, c’est en partant de la thèse de M. Jules Roche, qui n’exclut pas la quantité, et non pas de celle de M. Cavaignac qui, au moins à un certain degré, ne permet pas de produire la qualité.
Il était important de connaître sur tous ces points l’opinion du nouveau ministre de la guerre. M. le général Zurlinden a fait des déclarations excellentes. Après avoir rappelé la tentative de l’année dernière, qui a fourni un contingent de 235 000 hommes, il a déclaré qu’elle ne serait pas renouvelée. « Ce serait, a-t-il dit, demander au pays plus qu’il ne peut donner. Ce serait introduire dans notre armée des malingres qui, sans aucun doute, pourraient être employés à certains services accessoires, mais qui tiendraient la place de soldats valides ; ce serait, en fin de compte, nous obliger à augmenter la deuxième portion du contingent et à diminuer la valeur de nos armées, surtout de nos armées de première ligne. » Aux yeux du général Zurlinden, la loi du recrutement de 1889 suffit à nos besoins, si elle est bien appliquée : « Dans nos régimens, a-t-il dit, au moment de la mobilisation, nous aurons à peu près la valeur d’une classe d’hommes dans leur troisième année de service : ce seront des soldats bien préparés, physiquement et moralement, à donner l’exemple aux autres et à aider les cadres à entraîner leurs camarades plus jeunes et les réservistes… La présence dans nos rangs, au moment de la mobilisation, au moment de la guérie, d’une quantité aussi considérable que possible d’hommes faisant leur troisième année de service est une condition très importante pour l’emploi de nos troupes sur les champs de bataille. Il est utile de diminuer par tous les moyens en notre pouvoir la deuxième portion du contingent, car elle a pour résultat immédiat de réduire le nombre de nos soldats faisant trois années de service. ». On ne pouvait se prononcer avec plus de force pour le service de trois ans, et nous sommes heureux que le général Zurlinden l’ait fait, car nos soldats de trois ans sont le seul contrepoids que nous puissions opposer à la supériorité des cadres inférieurs allemands.