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qu’il tombe devant les exigences de l’armée, après des scènes de désordre et de violence dont les acteurs ont été des officiers, cela serait grave partout, et l’est peut-être encore plus à Madrid qu’ailleurs, parce qu’on pourrait y croire à une rechute, à un retour offensif d’une maladie invétérée. Nous sommes trop sincèrement amis de l’Espagne pour ne pas lui dire la vérité ; et d’ailleurs le sentiment que nous exprimons a été partagé par l’Europe entière. Il faudrait aller jusque dans l’Amérique du Sud pour trouver un pays où on donnerait peut-être raison aux officiers espagnols et où on excuserait leur échauffourée.

Voici brièvement les faits : Une révolte a éclaté dans l’île de Cuba, et a pris rapidement un caractère assez grave. Nous n’en connaissons pas encore très bien les causes. On a dit, mais à tort, paraît-il, que l’île de Cuba était maltraitée par la mère patrie. La vérité est que, depuis quelques années, Cuba bénéficie intégralement de la législation espagnole. Elle a été assimilé à la métropole, et si quelques différences subsistent, c’est sous la forme de privilèges au profit de la vieille colonie. Cuba n’est même plus une colonie dans le sens propre du mot : on pourrait comparer sa situation à regard de l’Espagne à celle de l’Algérie à l’égard de la France. On comprend donc assez mal les motifs de l’insurrection. Il y a des partis nombreux à Cuba : il y a des libéraux, il y a des conservateurs, il y a des autonomistes, il y a des séparatistes. Ces derniers seuls paraissent dangereux, mais ils sont en petit nombre, et ne pourraient même pas songer à la révolte armée si la nature du pays ne leur permettait pas de soutenir longtemps dans la campagne une lutte de guérillas. On dit aussi qu’ils trouvent, ou croient trouver quelques encouragemens au dehors. Quoi qu’il en soit, une insurrection a éclaté, et le gouvernement espagnol s’est vu dans l’obligation d’envoyer d’urgence des renforts à Cuba. Il a fait appel aux officiers et aux sous-officiers qui voudraient faire campagne : cet appel a trouvé de l’écho parmi les sous-officiers, mais infiniment peu parmi les officiers, et il a fallu procéder à un tirage au sort pour combler les vides qui restaient dans les cadres supérieurs. Personne ne soupçonnera les officiers espagnols de manquer de courage, seulement la loi est mal faite, et les officiers qui font campagne en volontaires ne participent pas aux mêmes avantages que les autres, à savoir ceux qui sont désignés par le sort. C’est une anomalie qu’on devrait s’empresser de faire disparaître. Est-ce à ce motif qu’il faut attribuer le peu d’empressement des officiers à s’enrôler dans le corps expéditionnaire ? On l’assure, et cela est très probable ; mais des journaux, dont quelques-uns n’ont pas grande importance à Madrid et sont inconnus partout ailleurs, ont constaté le fait avec malveillance, ce qui a provoqué dans le corps des officiers une irritation dont on a bientôt vu les effets. Plusieurs officiers, les uns en civils, les autres en uniforme, se sont transportés dans les bureaux de rédaction des journaux ; là, ils se sont livrés