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Le feu n’est pas seulement impuissant par lui-même dans l’attaque ; son action est aussi infiniment trop lente et trop tardive. Longtemps avant que le feu ne soit parvenu à anéantir matériellement le défenseur, ou à obliger les débris de celui-ci à renoncer à la lutte et à quitter les abris que leur offre la position qu’ils occupent, l’assaillant qui aura marché carrément sur eux, aura pu les chasser de haute lutte et les rejeter au loin. Dès que cet instant critique est arrivé où le défenseur est moralement assez ébranlé pour qu’un vigoureux effort en avant puisse l’expulser de sa position, toute minute de répit est une faute. Ce sont des pertes inutiles d’abord, et ensuite un retard dangereux. Toute perte est une diminution des chances du succès final, tout retard une porte ouverte à l’imprévu, à l’arrivée des renforts, à ces mille incidens qui peuvent changer le sort des batailles et transformer en désastre un succès qu’un peu d’énergie déployée en temps opportun eût assuré.

Comment peut-on du reste espérer du feu seul un résultat décisif dans l’attaque ? La situation des deux adversaires au point de vue de l’efficacité probable du tir ne peut pas se comparer. Le défenseur a choisi sa position, il l’a occupée précisément en vue de la complète utilisation de la puissance de son arme. Ses hommes sont embusqués, abrités, masqués tout au moins. Ils tirent avec un calme relatif, sont attentifs aux indications de leurs chefs ; ils ont des munitions sous la main, facilement renouvelables. L’assaillant, au contraire, s’est lancé dans un terrain qui lui est inconnu, il ne peut qu’en utiliser les accidens naturels s’il y en a, et, au moment décisif, il se trouve le plus souvent obligé de traverser une zone de terrain absolument découvert. Il tire debout, ou tout au plus à genoux, sur un ennemi qu’il voit mal et dont il est vu, il ne dispose que d’un nombre très limité de cartouches et n’a que peu d’espoir d’en recevoir d’autres en temps utile. Peut-on mettre en balance les deux situations ? peut-on raisonnablement espérer que le feu de l’assaillant parviendra jamais à dominer celui de la défense, hors le cas d’écrasante supériorité numérique ? La défense a naturellement pour elle l’incontestable supériorité du feu.

Si donc l’attaque espère parvenir à prendre le dessus sur la défense, c’est qu’elle a pour elle un autre avantage que celui de l’efficacité matérielle du tir, et cette autre force, la voici : elle marche.

C’est le mouvement en avant qui atténuera les pertes en changeant perpétuellement les conditions du tir ; c’est le mouvement en avant qui soutiendra le moral de l’assaillant ; c’est le mouvement en avant qui intimidera le défenseur, troublera de plus en