Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/862

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

libertés publiques et qui mettraient l’École même en péril ? Celle-ci, au lendemain des journées de Février, ne parut avoir rien à craindre du nouveau régime., Le ministre d’alors, Hippolyte Carnot, crut même lui donner une marque sensible de sa haute bienveillance en lui octroyant un uniforme militaire qui ne laissa pas de prêter à la plaisanterie ; mais on cessa d’en sourire quand on le vit, dans la fumée des batailles de Juin, aussi hardiment exposé au feu que celui des élèves de Saint-Cyr et de l’Ecole polytechnique. Lorsque l’ordre fut rétabli avec son concours, l’Ecole normale déposa l’épée, reprit le costume civil et se remit au travail. Elle n’en devint pas moins très vite, après l’élection présidentielle, suspecte en haut lieu. Ce n’était pas un secret que la plupart de ses élèves, de ceux qui en étaient sortis et de ceux qui l’habitaient encore, n’avaient pas voté pour le prince Louis, crime que ne lui pardonnaient point les coalisés qui, servis par les fautes des républicains et par le concours de l’Eglise, travaillaient de concert les uns à rétablir la monarchie et, les autres, à ressusciter l’empire.

Cette fois, le coup ne fut pas brusque et presque inattendu, comme en 1822 ; plus d’un signe précurseur annonça l’orage. Ce fut d’abord, en juillet 1850, la démission forcée de M. Dubois, que remplaça un ancien proviseur de lycée, alors recteur de l’Académie de Besançon, M. Michelle. Ce fut, un an plus tard, le 29 juin 1851, la mise en disponibilité de M. Vacherot, l’ami et si longtemps le fidèle collaborateur de M. Dubois. Au lendemain du 2 décembre, c’était M. Jules Simon, alors le plus brillant et le plus populaire des maîtres de conférences, dont le cours était suspendu. Quelque temps après, il refusait le serment et cessait ainsi d’appartenir à celle Ecole où il ne devait reparaître que vingt ans plus tard, comme ministre de M. Thiers, pour y présider, à côté de M. Bersot, la séance de rentrée du 7 novembre 1872.

Ce serment auquel M. Simon ne voulut pas se plier, ses collègues le prêtaient au même moment ; mais la plupart d’entre eux ne s’y résolurent que la mort dans l’âme, sous la dure pression de la nécessité. J’étais jeune alors et encore écolier ; mais j’allais souvent voir un de mes maîtres, qui enseignait à la fois au collège Charlemagne et à l’Ecole. Dans nos longs entretiens, il me parlait à cœur ouvert. C’est ainsi que je me trouvai être, à propos de cette cruelle exigence, le confident de son trouble et de ses scrupules, le témoin ému du combat qui se livrait dans cette conscience délicate, dans cette âme noble et grave.

Malgré l’apparente soumission de ceux qui s’étaient décidés à ce