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très explicites, plusieurs points de la thèse britannique. M. Hanotaux est remonté à l’origine des questions actuellement pendantes : elle est dans le partage des États du sultan de Zanzibar que l’Angleterre et l’Allemagne ont opéré en 1890. La France a dû faire entendre des protestations. On s’est mis d’accord avec nous sur certains points, mais, sur tous les autres, nous n’avons contracté aucune obligation, nous sommes restés libres. L’Angleterre a conclu avec l’Allemagne et avec l’Italie des arrangemens relatifs à sa zone d’influence sur le Haut-Nil. Ici encore, il faut signaler un des procédés qui sont le plus fréquemment employés dans ce genre de contrats : ils sont d’une diplomatie élémentaire, mais qui, si on n’y mettait ordre, n’en serait pas moins efficace. Ils consistent à s’entendre sur certains territoires avec les puissances qui y sont le plus indifférentes. Naturellement, on obtient de leur générosité tout ce qu’on veut, en échange de peu de chose. Qu’importe à l’Allemagne le plus ou moins d’extension de l’Angleterre sur le Haut-Nil, c’est-à-dire sur des territoires où elle n’a pour son compte aucune prétention ? Elle les lui concédera très largement, et d’autres encore ; elle reconnaîtra qu’ils sont dans sa zone politique, quand même ils comprendraient un tiers de l’Afrique, pourvu que l’Angleterre, en échange, lui abandonne quelques kilomètres carrés sur tel autre point où l’aigle germanique a déjà étendu sa serre. De même avec l’Italie. Qu’arrive-t-il ensuite ? L’Angleterre se tourne vers d’autres puissances, vers la France par exemple, et elle dit : — Vous allez reconnaître notre zone d’influence dans les limites qui ont été déjà reconnues par l’Italie et par l’Allemagne. Comment pourriez-vous faire autrement ? N’y a-t-il pas déjà une sorte d’accord universel ? — Eh bien ! non. Dans les assemblées européennes, il ne suffit pas d’un consentement, ou de deux, ou de plus même, pour constituer un droit : il les faut tous. Uno avulso, il n’y a rien de fait, tout reste en question. Il serait vraiment trop commode de constituer la ligue des États qui n’ont pas d’intérêt dans une affaire, et d’imposer ensuite aux autres une loi incompatible avec l’indépendance essentielle de toutes les nations. On retrouve ici la fable de l’enfant, qui vient de naître et qui réunit autour de son berceau les fées les plus conciliantes : si une seule a été oubliée, elle intervient toujours en temps opportun pour frapper de nullité tout ce qui a été fait en dehors d’elle, sans son concours, sans son aveu.

C’est ce qui est arrivé au sujet de la sphère d’influence de l’Angleterre sur le Haut-Nil. Non pas que nous ayons jamais pris là une attitude négative et obstructionniste : nous avons seulement voulu être éclairés. Il n’y a qu’une chose que nous n’admettrons jamais, c’est qu’un droit territorial égyptien crée un droit analogue anglais. Sur ce point nous sommes et nous serons irréductibles aussi longtemps que nous aurons un gouvernement vraiment français, autant dire jusqu’à ce