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REVUE MUSICALE


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Théâtre de l’Opéra : Tannhæuser , opéra en 3 actes, de Richard Wagner..


Trois opéras célèbres : le Freischütz, Robert le Diable et Tannhæuser représentent le partage éternel de l’homme et l’éternel combat que l’ange et la bête se livrent en lui. De ces trois représentations, le Freischütz est sans doute la plus naïve, et dans une acception du mot que nous fixerons, la plus naturaliste ; Robert le Diable en est la plus concrète et la plus étroite : la plus large au contraire — et avec cela la plus exclusivement intérieure et spirituelle, la plus chrétienne enfin — c’est Tannhæuser .

Qu’il y ait déjà du symbole dans le Freischütz, que la musique partout y dépasse, y déborde le poème, c’est ce que, sans faire injure au génie de Weber, on ne saurait contester. Il n’est pas une page qui n’en porte témoignage. Au premier chant, au premier cri de Max, ni l’oreille ni le cœur ne se trompe. Est-ce seulement un paysan, un tireur malheureux qui souffre et se désespère ainsi ? Non, c’est un bien autre personnage, et ces admirables imprécations, ces mélodies de douleur et de colère portent en elles infiniment plus d’âme et d’humanité. Max est déjà l’homme, le héros de l’orgueil, de l’ambition et du désir. Il l’est dans le trio du premier acte ; il l’est dans les parties mélancoliques ou violentes de l’air qui suit ; il l’est, avec plus de grandeur encore et d’âpreté farouche, au second acte, dans le trio avec les deux jeunes filles et dans la scène de la Gorge aux Loups.

Mais cet homme, entre quelles puissances ennemies le voit-on se débattre ? Quels adversaires se livrent en lui le combat qu’est l’opéra tout entier, que l’ouverture annonce et résume, et dont les tableaux alternés marquent avec symétrie les phases et les vicissitudes ? C’est ici qu’apparaît ce que nous appelions, faute d’un meilleur terme, le naturalisme du Freischütz. Oui, le bien et le mal ont dans l’opéra de Weber un caractère naturel, en ce sens qu’ils se manifestent surtout