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toutes les tiennes. Je serai ta maîtresse, ton amie, ta sœur ; et, si tu m’en crois digne, je serai aussi ta conseillère. J’ai, moi, une intuition lucide des choses, et j’ai fait cent fois l’expérience de cette lucidité qui jamais ne m’a induite en erreur. Mon unique souci sera de te plaire toujours, de n’être jamais une charge dans ta vie. En moi tu ne dois trouver que douceur et repos… J’ai beaucoup de défauts, mon ami ; mais tu m’aideras à les vaincre. Tu me rendras parfaite, pour toi. J’attends que tu me viennes en aide. Plus tard, lorsque je serai sûre de moi-même, je te dirai : Je suis digne maintenant, j’ai maintenant conscience d’être celle que tu veux. Et toi aussi tu auras l’orgueil de penser que je te dois tout, je que suis en tout ta créature ; et alors il te semblera que je suis plus intimement tienne ; et tu m’aimeras toujours davantage, toujours davantage. Ce sera une vie d’amour comme on n’en a vu jamais… »

En post-scriptum : « Je t’envoie une fleur de rhododendron cueillie au parc de l’Isola Madre. Hier, dans la poche de ce vêtement gris que tu connais, j’ai retrouvé la note du Grand Hôtel d’Europe à la Poste, la note d’Albano que je t’avais demandée en souvenir. Elle est datée du 9 avril. On y a marqué plusieurs paniers de bois. Te rappelles-tu nos grands feux d’amour ?… Courage ! courage ! Le renouveau du bonheur approche. Dans une semaine, dans dix jours au plus, je serai où il te plaira. Avec toi, n’importe où ! »


II

Et George qui, au fond, ne croyait guère au succès, mais qu’une ardeur folle avait embrasé soudain, tenta l’épreuve suprême.

Il partit de Guardiagrele pour le littoral, en quête de l’ermitage. La campagne, la mer, le mouvement, l’activité physique, la variété des incidens au cours de cette exploration, la singularité de son propre état, toutes ces choses nouvelles le secouèrent, le remirent sur pied, lui donnèrent une confiance illusoire. Il lui sembla qu’il venait d’échapper par miracle à l’assaut d’une maladie mortelle où il aurait vu la mort en face. Pendant les premiers jours, la vie eut pour lui cette saveur douce et profonde qu’elle n’a que pour les convalescens. Le rêve romanesque d’Hippolyte flottait sur son cœur.

« Si elle réussissait à me guérir ! Pour guérir, il me faudrait un amour sain et fort. » Il évitait de regarder jusqu’au fond de lui-même, se dérobait au sarcasme intérieur que provoquaient