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ces deux épithètes. « Sur terre, il n’y a qu’une seule ivresse durable : la sécurité dans la possession d’une autre créature, la sécurité absolue et inébranlable. Cette ivresse, je la cherche. Je voudrais pouvoir dire : « Mon aimée, présente ou absente, vit tout entière en moi ; elle se soumet avec bonheur à tous mes désirs ; elle a ma volonté pour loi unique ; si je cessais de l’aimer, elle en mourrait ; en expirant, elle ne regrettera que mon amour. » Au lieu de se résigner à goûter l’amour sous les formes de la souffrance, il s’obstinait à le poursuivre sous les formes de la jouissance. Il donnait à son esprit une attitude irréparable. Il heurtait et défigurait une fois de plus son humanité. Il découvrit l’ermitage à San-Vito, dans le pays des genêts, sur le bord de l’Adriatique. Et c’était l’ermitage idéal : une maison construite à mi-côte, sur un plateau, dans un bosquet d’orangers et d’oliviers, en face d’une petite baie close par deux promontoires.

Très primitive, l’architecture de cette maison. Un escalier extérieur montait à une loggia sur laquelle s’ouvraient les quatre portes des quatre chambres. Chaque chambre avait sa porte et, vis-à-vis, dans la muraille opposée, une fenêtre regardant sur l’olivaie. À la loggia supérieure correspondait une loggia inférieure ; mais les chambres du rez-de-chaussée, sauf une, n’étaient pas habitables.

D’un côté, la maison était contiguë à une masure où les paysans propriétaires avaient leur habitation. Deux chênes énormes, que le souffle persévérant du mistral avait penchés vers la colline, ombrageaient la cour et protégeaient des tables de pierre commodes pour y dîner dans la belle saison. Cette cour était entourée d’un parapet de pierre, et, dépassant le parapet, des acacias chargés de grappes odorantes détachaient sur le lointain de la mer l’élégance délicate de leur feuillage.

Cette maison ne servait qu’à loger des étrangers qui la louaient pour la saison des bains, selon l’industrie pratiquée par tous les villageois de la côte dans les parages de San-Vito. Elle était distante du bourg d’environ deux milles, sur la limite d’un territoire appelé les Portelles, dans une solitude recueillie et clémente. Chacun des deux promontoires était percé d’un tunnel, on apercevait de la maison les deux ouvertures. La voie ferrée courait de l’une à l’autre en ligne directe, le long du rivage, sur un parcours de cinq ou six cents mètres. À la pointe extrême du promontoire de droite, sur un banc de récifs, un trabocco s’allongeait, étrange machine de pêche construite tout entière avec des poutres et des planches, pareille à une araignée colossale.