entre deux parois de granit, le tonnerre réitéré du fleuve qui se précipite du haut d’une roche, tous les sons que produisent les eaux vives sur la pierre inerte et tous les jeux de leurs échos, elle les imitait. La tendre parole qu’on murmure dans l’ombre à l’écart, le soupir exhalé par une angoisse mortelle, la clameur d’une multitude ensevelie dans les profondeurs d’une catacombe, le sanglot d’une poitrine titanesque, la dérision altière et cruelle, tous les sons que produit la bouche humaine dans la tristesse ou dans la joie, et le mugissement, et le rugissement, elle les imitait. Les chœurs nocturnes des esprits aux langues aériennes, le chuchotement des fantômes mis en fuite par l’aurore, les ricanemens réprimés des créatures fluides et maléfiques aux aguets sur le seuil des antres, les appels des fleurs vocales dans les paradis de luxure, les reprises de la danse magique sous la lune, tous les sons que l’oreille des poètes écoute en secret, tous les enchantemens de la sirène antique, elle les imitait. Une et multiple, évanescente et impérissable, elle enfermait en soi tous les langages de la Vie et du Rêve.
Ce fut, dans l’esprit attentif de l’auditeur, comme la résurrection d’un monde. La grandeur de la symphonie marine ranima chez lui la foi en la puissance illimitée de la musique. Il resta stupéfait d’avoir pu priver si longtemps son esprit de cette nourriture quotidienne, d’avoir renoncé au seul moyen concédé à l’homme pour s’affranchir de la tromperie des apparences et pour découvrir dans l’univers intérieur de l’âme l’essence réelle des choses. Il resta stupéfait d’avoir pu négliger si longtemps ce culte religieux que, depuis les premières années de son enfance, à l’exemple de Démétrius, il avait pratiqué avec tant de ferveur. Pour Démétrius et pour lui, la musique n’avait-elle pas été une religion ? Ne leur avait-elle pas révélé à tous deux le mystère de la vie suprême ? À tous deux elle avait répété, mais avec un sens différent, la parole du Christ : « Notre règne n’est pas de ce monde. »
Et il lui réapparut, l’homme doux et méditatif, ce visage empreint d’une mélancolie virile auquel donnait une expression étrange la boucle de cheveux blancs mêlée aux cheveux noirs sur le milieu du front.
Une fois encore George se sentit pénétré par la fascination surnaturelle qu’exerçait sur lui du fond de la tombe cet homme existant hors de la vie. Des choses lointaines lui revinrent à la mémoire, pareilles à des ondes d’harmonie indistincte ; des élémens de pensée reçus de ce révélateur semblèrent prendre des formes vagues de rythmes ; le simulacre idéal du défunt parut se transfigurer musicalement, perdre ses contours visibles,