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sont comme volans en l’air tout contre ce même nuage, Andromède emportée par les vents, les Néréides émergeant des flots, Neptune sur son char que traînent deux chevaux marins, Junon sur le sien que tirent deux paons, et enfin Persée sur le cheval Pégase qui fait au milieu de l’air un « caracol admirable ». Voilà de belles choses ! L’honneur, ainsi que le reconnaît modestement Corneille, en revenait surtout au sieur Torelli. Pour ce qui est de la musique, le poète s’est efforcé de la réduire à la portion congrue : « Je ne l’ai employée qu’à satisfaire les oreilles des spectateurs, tandis que leurs yeux sont arrêtés à voir descendre ou remonter une machine, ou s’attachent à quelque chose qui les empêche de prêter attention à ce que pourraient dire les acteurs. » Cet homme assurément aime peu la musique. Il la relègue aux endroits où elle est dans l’impossibilité de nuire. Il ne prévoit pas qu’une fois entrée dans le drame, et du coin où on la confine, elle va déborder sur tout l’ensemble. Il croit, dans sa grande naïveté, qu’on fait au musicien sa place et qu’il y reste. Au surplus, il est un peu honteux d’avoir plié son génie à une pareille besogne. Il s’excuse de n’avoir semé dans ses tragédies qu’un petit nombre de « beaux vers ». Il avoue que « cette pièce n’est que pour les yeux. » Il reviendra à la charge en 1660 avec la Toison d’Or jouée au château de Neufbourg chez le marquis de Sourdéac qui avait fait les machines, en 1671 avec Psyché, tragédie-ballet. C’est qu’il est difficile de résister à la mode ; c’est que Corneille ne déteste pas le succès et qu’il est d’avis, comme Molière, que la grande règle est de plaire.

De même que Corneille avait ouvert la tragédie au ballet, Molière va le faire entrer dans la comédie. Un hasard l’y amena. Il voulait donner un ballet avec les Fâcheux, « et comme il n’y avait qu’un petit nombre choisi de danseurs excellens, on fut contraint de séparer les entrées de ce ballet, et l’avis fut de les jeter dans les entr’actes de la comédie, afin que ces intervalles donnassent temps aux mêmes baladins de revenir sous d’autres habits ; de sorte que, pour ne point rompre aussi le fil de la pièce par ces manières d’intermèdes, on s’avisa de les coudre au sujet du mieux que l’on put, et de ne faire qu’une seule chose du ballet et de la comédie. » Le temps manqua pour fondre parfaitement les deux arts. Dans la Princesse d’Élide, la partie musicale est déjà mieux rattachée à l’action. Le prologue de l’Amour médecin montre la Comédie tendant la main à la Musique et au Ballet :


Quittons, quittons notre vaine querelle ;
Ne nous disputons point nos talens tour à tour.


Il suffit de rappeler Mélicerte, la Pastorale comique, le Sicilien. Et je n’ai garde de reprocher à Molière d’avoir suivi le goût d’une cour frivole