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— Tu es malade ?

— Oui, balbutia-t-il, je ne suis pas à mon aise. C’est une de mes mauvaises journées…

Ce n’était pas la première fois qu’elle l’entendait se plaindre de vagues souffrances physiques, de douleurs sourdes et errantes, de tiraillemens et de fourmillemens désagréables, de vertiges et de cauchemars. Elle croyait ces souffrances imaginaires ; elle y voyait des effets de la mélancolie habituelle, des excès de pensée ; et elle n’y connaissait pas de meilleur remède que les caresses, les rires et les jeux.

— Où souffres-tu ?

— Je ne saurais dire.

— Oh ! je sais bien, moi, la cause de ton mal… La musique t’excite trop. Il faut ne plus en faire pendant une semaine.

— Non, nous n’en ferons plus.

— Plus du tout.

Et elle alla vers le piano, rabattit le couvercle sur le clavier, ferma la serrure et cacha la petite clef.

— Demain, nous reprendrons nos grandes promenades, nous passerons toute la matinée sur la plage. Veux-tu ? Et maintenant, viens sur la loggia.

Elle l’attira d’un geste tendre.

— Regarde comme la soirée est belle ! Sens comme les roches embaument !

Elle aspira le parfum saumâtre en frémissant, en se serrant contre lui.

— Nous avons tout pour être heureux, et toi… Comme tu regretteras ce temps-ci lorsqu’il sera passé ! Les jours passent. Voilà bientôt trois mois que nous vivons ici.

— Penserais-tu déjà à me quitter ? demanda-t-il, inquiet, soupçonneux.

Elle voulut le rassurer.

— Non, non, répliqua-t-elle ; pas encore ; mais la prolongation de mon absence devient difficile, à cause de ma mère. J’ai même reçu aujourd’hui une lettre de rappel. Tu sais, elle a besoin de moi. Lorsque je manque à la maison, tout va de travers…

— Tu dois donc retourner prochainement à Rome ?

— Non. Je saurai trouver encore quelque prétexte. Tu sais que, pour ma mère, je suis ici en compagnie d’une amie. Ma sœur m’a aidée et m’aide à rendre cette invention vraisemblable ; et d’ailleurs ma mère n’ignore pas que j’ai besoin des bains et que, l’an dernier, je me suis mal trouvée de n’en avoir pas pris… Tu te rappelles ? Je passai l’été à Caronno, chez ma sœur. Quel été horrible !