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argenté adoucissait la couleur éclatante des feuilles mortes du chêne et le vert sombre des sapins. Cette enveloppe glacée dissimulait un peu les formes et les teintes que la vapeur rendait encore plus suaves et offrait un tableau charmant. Eclairés par le soleil, des milliers d’énormes glaçons, semblables à ceux de nos fontaines et des roues de nos fabriques, pendaient à ces arbres comme autant de lustres éblouissans. Jamais salle de bal n’avait reflété autant de diamans… » Mais voici que huit régimens autrichiens et hongrois viennent interrompre la rêverie. Il faut du canon… « Ces deux pièces chargées à mitraille culbutèrent toute la tête de colonne ennemie. Pas un seul biscaïen ne fut perdu. La commotion fit crouler sur nos têtes les amas de neige suspendus aux arbres et, comme par enchantement, les escadrons disparurent enveloppés dans un nuage[1]. » Voilà que le charme de la nature a éclipsé la vaillance de l’homme. Voici que, chez Gros, sa mélancolie recouvre et domine toutes les misères, comme la neige toutes les blessures, et que l’agonie de l’hiver a surpassé en horreur l’agonie des combattans. Regardez la Bataille d’Eylau, qui est au Louvre, et ne pensez pas que ce soit l’âme seulement des artistes ou des poètes qui ait senti la tristesse infinie de cette plaine. Parquin, qui n’était qu’un sabreur, en a eu le cœur serré. « Les forêts de sapins qui abondent dans ce pays et qui bordaient le champ de bataille le rendaient encore plus triste. Ajoutez à cela un ciel brumeux dont les nuages, paraissant ne pas s’élever au-dessus des arbres, jetaient sur toute cette scène une teinte lugubre et nous rappelaient involontairement que nous étions à trois cents lieues du beau ciel de France[2]. »

Avec Horace Vernet, Protais et tous les peintres de ce temps, la nature pénètre encore davantage le tableau de bataille. Le combat de l’Habrah est un paysage autant qu’un tableau de figures. La prise d’Alger, de Gudin, n’est qu’un paysage. Les compagnons de Bonaparte n’avaient vu en Égypte que les traces des hommes, des Pharaons. Ceux du duc d’Aumale voient en Afrique des paysages nouveaux et splendides. Devant Laghoual, avant de conter le bombardement, M. du Barail prend le temps de dépeindre : « L’aspect du paysage est d’une tristesse grandiose. En dehors de l’oasis, aussi loin que la vue peut s’étendre, on n’aperçoit pas un brin d’herbe. Partout du sable. Dans les profondeurs du sud, le désert paraît stérile et nu. Du côté du nord, le regard est arrêté par une ligne de rochers qu’un sable jaune, rutilant, plaqué dans leurs anfractuosités, fait paraître plus noirs et plus brûlés. Dans les grandes chaleurs de l’été, alors que l’air vibre

  1. Général Lejeune, De Valmy à Wagram.
  2. Commandant Parquin. Souvenirs et Campagnes.