notre fièvre. Quant à Wills, il a donné un moment des espérances. On pouvait se tromper sur l’avenir de ce talent. « Il était, dit M. Archer, si fort et si faible, si viril et si puéril, si soigneux et si négligé, si poétique et si banal ! » Sa vie décousue, son caractère passionné, sa hâte de produire, ajoutaient à l’illusion et lui donnaient, à quelques pas, un air de génie. Ce n’était qu’un faux air. J’ai vu jouer deux pièces de lui, Charles the first et Claudian. La première évoquait au théâtre, — pour la dernière fois, sans doute, — la légende du roi martyr dont les travaux historiques de Gardiner ont dispersé les derniers atomes. Et voici le sujet de Claudian. Un homme qui a tué un moine est frappé, pour ce crime, d’une malédiction qui, au lieu de l’atteindre, s’attache à tous ceux qui se trouvent sur sa route. Il fait du mal sans le vouloir, même lorsqu’il veut faire du bien ; il cause la mort de ceux qu’il aime. A la fin, il est sauvé, de sorte que cet abominable gaspillage de vies humaines, ce torrent de larmes et de sang, ces souffrances, ces désespoirs, ces agonies, tout cela ne sert qu’à faire asseoir un criminel en robe blanche au banquet de la vie immortelle. « Pour que le monde soit le purgatoire de Claudian, il faut qu’il soit d’abord l’enfer de toute une génération. » Il en est ainsi de toutes les pièces de Wills : elles reposent sur une conception qui s’écroule quand on l’analyse, et la versification est trop pauvre pour masquer ou racheter la fragilité de l’idée dramatique.
Malgré les efforts d’Henry-Arthur Jones et de quelques écrivains actuels, le vers tragique, le vers blanc, dont j’ai essayé de caractériser l’impression, a vécu. S’il y avait encore des auteurs pour le manier, il n’y aurait plus d’acteurs pour le dire, et je ne vois guère qui osera le « chanter » après Ellen Terry.
Un nom, cependant, se présente à la pensée, un grand nom qu’il serait profondément injuste d’oublier dans cette revue du théâtre contemporain : celui de Tennyson. M. Archer remarque que Tennyson, si heureux dans sa vie de poète, a manqué d’à-propos dans sa carrière de dramaturge. Il a écrit ses pièces trop tard et trop tôt : trop tôt pour le public et trop tard pour son talent. En effet, il avait soixante-six ans quand il a publié Queen Mery, la première en date des six pièces qui composent son théâtre. Il y a près de vingt ans de cela, et l’éducation des spectateurs était bien loin d’être aussi avancée qu’elle l’est aujourd’hui. Ce n’était pas leur faute s’ils apportaient au poète un goût quelque peu gâté par le succès d’Our Boys et des Pink Dominoes, et une âme fermée aux jouissances supérieures de l’imagination. Envers le poète lauréat, les artistes firent leur devoir, et même quelque chose de plus ; c’est la critique, — et, ici, je me couvre