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NOTES DE VOYAGE

UN PELERINAGE MUSICAL


Mayence, le 30 juillet 1895.

L’Angleterre et l’Allemagne ont fait entre elles, cette année, un échange d’une espèce assez imprévue : elles ont échangé leurs grands musiciens. L’Allemagne a prêté à l’Angleterre Jean-Sébastien Bach ; et voici que l’Angleterre vient à son tour de prêter — ou, si l’on préfère, de resituer — à l’Allemagne Georges-Frédéric Hændel.

C’est, en effet, un Festival Bach qui a remplacé à Londres, ce printemps passé, les séances ordinaires du Festival Hændel : événement considérable, et tel que depuis longtemps il ne s’en était point produit de pareil dans le monde musical anglais. Car il ne s’agissait pas simplement, cette fois, d’une de ces exhibitions de curiosités étrangères qui se renouvellent tous les ans, dans les théâtres et les salles de concert à la mode, durant la season. Ce n’est pas en rival de M. Humperdinck, ni de M. Paderewski, ni de Mlle Yvette Guilbert, que Jean-Sébastien Bach a fait son entrée au Queen’s Hall, mais en rival, ou plutôt en successeur de Georges-Frédéric Hændel : et ainsi ces trois séances du Bach Choir ont su toute l’importance d’une révolution, dans les mœurs artistiques du public anglais. Plus profondément que tant d’autres symptômes que je signalais l’autre jour, elles ont prouvé que l’Angleterre était lasse d’une trop longue fidélité à ses vieilles traditions nationales. Bach se substituant à Hændel, la Messe en si mineur et les deux Passions prenant la place du Messie, de Samson, et d’Israël en Égypte, quel signe pouvait être plus caractéristique d’une époque nouvelle ? Il ne nous resterait plus, après cela, qu’à voir le culte de Racine succéder à celui de Shakspeare.

Encore le culte des Anglais pour Shakspeare n’est-il pas aussi