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résolu, — comme le soutient parfois l’exaltation des patriotes croates, — de tenir le pays dans une sorte de servage à distance, analogue au régime que l’Angleterre applique à l’Irlande ou à celui que l’Autriche lit sentir à la Lombardie. C’est un autre esprit, un autre système. Ils exigent à la fois plus et moins. Leur but est de faire entrer de force la Croatie dans le moule magyare de contraindre l’idée nationale à se fondre dans l’unité politique que la constitution de 1867 a créée à leur profit et dont ils sont l’âme.

Le Budapesti Hirlap disait, en 1891 : « Il est de l’intérêt de l’Etat que le magyarisme s’étende aux dépens des nationalités, les conquière et les assimile. » Jamais formule mieux appropriée au dessein soutenu du peuple hongrois. Son ennemi c’est donc la nationalité des autres. Par l’exécutif et par le budget ils disposent de la vie officielle en Croatie. Par l’exploitation de l’intérêt ou de la peur ils tentent d’absorber sa vie intime. Leur méthode est d’associer les Croates eux-mêmes à l’œuvre de magyarisation, en peuplant les fonctions publiques et la Diète d’employés soumis et de députés complaisans. Elle a relativement réussi. L’étranger qui ne prend contact qu’avec la surface du pays n’aperçoit pas d’antagonisme entre le gouvernement et l’esprit national.

Il faut pourtant savoir à quel prix ces apparences sont acquises. On est tenté île dire de la loi électorale que c’est le régime censitaire retourné. La capacité, ou ce qui passe pour tel, fournit plus aux listes que le cens. Elle est acquise, non seulement à qui justifie d’un diplôme ou d’un grade déterminés, mais à tous les fonctionnaires et employés sans distinction, y compris le personnel communal et celui des chemins de fer. Il en résulte qu’un cantonnier, un garçon de bureau, un balayeur municipal, voire un garde-barrière ou un homme d’équipe, quelquefois Hongrois d’origine, n’ayant aucune attache à la Croatie, dont il parle à peine la langue, prennent part aux élections, alors que la majorité des possesseurs du sol y reste étrangère. Le cens est élevé, en effet, pour un pays pauvre. Il varie entre 15 et 30 florins d’impôts directs.

Les velléités d’indépendance sont prévues. Le vote est public, verbal ; il est reçu, au chef-lieu du collège électoral, par un représentant de l’administration. Je passe sur l’intervention des gendarmes, l’ultima ratio des élections douteuses, qui servit notamment à repousser, dans la circonscription de Djakovo, sous les fenêtres du palais épiscopal, les partisans du comte Vojnovic. — C’est aussi l’élément administratif qui prévaut dans les