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mon impression. Ce qui importe, c’est celle de M. Sydney Grundy. Il dut, en s’aidant des opinions qui flottaient dans le public, faire une critique complète et raisonnée de la pièce avant d’y toucher. Le résultat de ses réflexions fut la suppression d’un caractère qui ne vaut rien, celui du fils de Montjoye, dont la place est dans la famille Benoiton, et l’introduction d’un caractère excellent, celui de Parker, le vieux commis dont tout le monde admire la fidélité et la modestie, et qui, ayant pénétré tous les secrets du patron, thésaurisé dans son cœur obstiné et implacable toutes les amertumes qu’il en a reçues, le suit pas à pas, ramasse sa fortune miette à miette, et se trouve, finalement, le maître de son maître.

Mammon est, certainement, une pièce mieux faite que Montjoye, mais ce n’était pas assez pour M. Sydney Grundy. Plus de seize ans après, il reprenait le même sujet, le soumettait à une critique nouvelle, avec un double objectif qui peut s’exprimer en deux questions : Depuis trente ans comment s’est modifié le type du grand brasseur d’affaires ? En quoi le faiseur anglais diffère-t-il de son congénère parisien ? On se rappelle la scène où le positiviste Montjoye raille Saladin l’enthousiaste, son ancien camarade de collège, qui est resté pauvre parce qu’il a gardé ses illusions, sa foi en l’humanité ? Tout cela, c’est le bleu : « J’appelle Bleu tout ce qui n’est pas pratique, tout ce qui n’est pas, en morale, le tien et le mien, en philosophie deux et deux font quatre. Illusions poétiques, préjugés d’enfance, superstitions romanesques, sensibilité maladive, phrases sonores et vides, voilà le royaume du bleu ! » Ainsi parlait Montjoye « ou l’homme fort », dans un langage qui semble légèrement suranné. Aujourd’hui, ila changé de rôle avec Saladin. Il est enthousiaste pour entraîner les croyans et les simples ; il est le virtuose de la « sensibilité maladive », le Paganini de la « phrase sonore et vide » ; il a découvert des mines d’or dans le « royaume du Bleu ». Sa tartufferie est plus sociale que religieuse ; comme Piron, il salue le bon Dieu, mais il fait prévenir, en dessous main, les francs-maçons que cette politesse ne tire pas à conséquence. Il ne se borne pas à lancer des actions des ports de Bohême et des obligations à lots du chemin de fer de Paris à la lune : il veut que ces magnifiques affaires servent l’humanité. Le Montjoye moderne est à cheval sur la politique et la bourse, sur l’Evangile et le socialisme ; il arrive par le chauvinisme et par la pitié. Transportez-le à Londres et revêtez-le de cette hypocrisie dont nos voisins ont fait un art : vous aurez sir Philip Marchant, le héros du Bunch of Violets.

M. Grundy a accusé cet aspect dans deux ou trois scènes. Lune est celle où sir Philip reçoit les Enfans du Travail, qui,