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bien entendu, ne travaillent jamais. Ce groupe a pour leader et pour porte-paroles un personnage louche et menaçant, allemand de nom et d’origine, qui mange à la fois à la gamelle radicale et au râtelier des dissenters. L’homme a deux mains : elles sont l’une et l’autre faites pour prendre. C’est pourquoi maître Schwarz accepte cinq cents livres pour laisser passer la candidature d’un bourgeois : soit deux cent cinquante pour empêcher de rugir le lion populaire et deux cent cinquante pour imposer silence aux scrupules de la conscience non-conformiste. La charge est amusante, enlevée avec un brio étonnant, mais c’est une charge. La scène est trop gaie pour être vraie, et le satiriste a coupé l’herbe sous le pied au psychologue.

Nihiliste ou humanitaire, il faut que le grand faiseur nous donne l’idée d’un personnage très intelligent, vraiment capable de tromper les autres et jusqu’à un certain point de se faire illusion à lui-même. Ce n’est ni un honnête homme ni un parfait coquin : c’est un homme qui considère que des facultés hors ligne l’appellent à des privilèges exceptionnels et pour qui l’ambition est la première comme la dernière raison d’être. Par des motifs que je ne rechercherai point, parce que je crains de les trouver, les auteurs dramatiques oublient de donner à leur merveilleux financier cette puissance intellectuelle. Dans le Bunch of Violets, c’est l’acteur qui a achevé l’esquisse en jetant dans ce grand rôle sa valeur personnelle. Quoi qu’il joue, M. Tree donne l’impression d’un homme supérieur ; il l’est en effet.

Je n’aime pas beaucoup les histoires de bigamie. Cependant il faut reconnaître que, dans la pièce du Haymarket, ce ressort, un peu usé et d’ailleurs assez répugnant, prête à l’intrigue une solidité que n’a point la pièce d’Octave Feuillet. « Que dirait le monde s’il savait que vous l’avez fait dîner et danser chez votre maîtresse en la lui présentant comme votre femme ? » L’objection est présentée à Montjoye par sa malheureuse complice et par le public à l’auteur, qui n’y répond pas plus que son héros. Du moins sir Philip Marchant n’a pas commis cette énorme faute. Son second mariage est un crime, soit, mais non une bêtise. Et puis nous n’avons plus cette conversion finale de Montjoye, concession lamentable faite par Feuillet aux spectatrices optimistes d’il y a trente ans. Sir Philip avale le laudanum (ou la strychnine) très bravement, et nous savons que cela se passe ainsi, en tout pays, quand il n’y a plus moyen de payer autrement ses différences avec la morale sociale et avec le code criminel. Reste le bouquet de violettes qui a donné son nom à la pièce. Lorsque, au dernier acte, sir Philip, qui est bigame et faussaire, qui a volé les pauvres et volé sa propre femme, refusait de donner pour cinq mille