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bâties, précédées de portiques primitifs, isolées les unes des autres, donnaient à l’ancienne capitale du monde la physionomie d’un grand village, mais quel village ! Au milieu de solitudes majestueuses, se dressaient çà et là les gigantesques débris des constructions impériales. Il est difficile de se représenter les sentimens que devait éprouver le voyageur du XVe siècle placé tout à coup en présence des ruines énormes du Colisée et du Palatin, des thermes de Dioclétien, de Titus et de Caracalla, bien autrement importantes que de nos jours, et couvertes d’une végétation dix fois séculaire. L’impression ressentie devait être d’autant plus vive que l’histoire de ces monumens, au lieu d’être éclairée par les recherches de l’archéologie moderne, n’apparaissait alors qu’à travers les légendes romantiques du moyen âge. C’étaient ensuite les églises répandues partout, dans l’enceinte de la ville et hors les portes. Pleines de reliques et de saintes images venues d’Orient, elles attiraient des légions de pèlerins à l’époque des jubilés, charmantes dans leur vieille architecture que n’avait encore profanée aucune restauration sacrilège. Puis venaient les monastères fort nombreux, perdus au milieu des vignes. Les forteresses des barons romains, souvent construites sur des débris antiques, achevaient de prêter à la ville éternelle un aspect extraordinaire.

Cependant les signes avant-coureurs d’une ère nouvelle se manifestaient nettement dans la seconde moitié du XVe siècle. C’était le début d’une révolution destinée à doter Rome d’édifices merveilleux, mais au prix de dévastations déplorables. Pour faire place aux constructions nouvelles, combien de ruines encore imposantes disparurent sous la pioche des démolisseurs de la Renaissance ! D’autre part, l’humanisme triomphant n’éprouvait pas plus de scrupules devant les édifices les plus vénérables du christianisme. On devait en avoir une preuve éclatante quand, en dépit de quelques protestations indignées, Jules II décréta la destruction de la basilique de Constantin sanctifiée par tant de touchants pèlerinages, entourée de si mémorables souvenirs.

Le palais sur lequel le cardinal Farnèse avait jeté son dévolu se dressait dans la partie la plus paisible d’un des quartiers les plus animés de la ville. Il confinait presque au Campo de Fiori qui, après avoir servi de pâturage aux troupeaux d’alentour jusqu’au pontificat de Martin V, avait peu à peu perdu son caractère de prairie pour former une place publique que le cardinal Scarampo avait fait paver en 1452. Là se trouvaient les tavernes les plus fréquentées et les auberges les plus en vogue de la ville. Vers le Tibre, au contraire, tout était silence et solitude. Les murailles qui bordaient le fleuve de ce côté à la fin de l’Empire