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prendre en face de la révolution espagnole et de l’état déplorable de la Chambre. Dans une telle situation, ils ne refuseront le secours de personne, et vous pourrez les protéger tout à votre aise. Vous vous honorerez et vous servirez le pays en raffermissant la politique du 11 Octobre qu’on a espéré ébranler.

Mais laissons cette fastidieuse politique, et parlons guerre et Afrique. Voici le maréchal C. (Clauzel) qui recommence ses opérations et son système de camps retranchés et de blockhouses; il aura bientôt mis en prison (en avançant dans le pays) une autre forte partie des troupes qui restent disponibles. Je les vois déjà faire des camps retranchés et des blockhouses de quatre lieues en quatre lieues, sur les trois lignes d’opérations. C’est déjà commencé en avant de Bouffarick. Quoi ! on ne voudra pas comprendre que la domination du pays est dans la mobilité des troupes; qu’avec un ennemi essentiellement mobile, il faut se rendre aussi mobile que possible; que les postes retranchés ne commandent qu’à la portée du fusil ; que tout le reste du pays appartient à l’ennemi; que les postes multipliés sur une ligne et sur une base d’opérations ne dispensent pas d’une colonne agissante tout aussi forte que si les postes n’existaient pas; qu’on ne peut réellement communiquer qu’avec cette colonne ; et que la multiplication des postes empêche souvent de l’avoir disponible, à moins que l’effectif ne soit immense?...

Tâchez de vous échapper d’Italie pour aller visiter Alger, Bône et Oran...

Il faut pénétrer dans le pays avec nos expéditions, si vous voulez le juger et surtout le voir, non pas avec les lunettes de l’histoire, mais les grands yeux du commerce et de l’agriculture, puisque c’est là-dessus qu’est basé l’espoir de la colonie. Il est évident que si le pays, par la nature de son sol, par son climat, surtout par la rareté de ses eaux, par l’exiguïté de ses rivières qui ne permettent d’irriguer qu’une infiniment petite partie de la surface, ne peut produire que du grain et des bestiaux, la France aurait grand tort de persévérer dans des sacrifices qui, dans tous les cas, ne pourraient amener des résultats que pour les générations futures. Tâchez d’apprécier toutes les difficultés matérielles qui s’opposent à l’établissement des Européens au milieu des Arabes. Je vous recommande aussi d’observer le palmier nain dont nos grands hommes n’ont rien dit : c’est l’un des plus grands obstacles à la culture. Ils ont dit que le soleil d’Afrique vivifiait tout; à moi il m’a paru le principal inconvénient à une bonne culture, excepté dans le très petit nombre de localités où l’on pourrait arroser.

Voyez tout cela, mon ami, vous ne pouvez mieux occuper les loisirs de l’homme d’État; c’est plus utile que de visiter les monumens de Rome et de Florence. Surtout méfiez-vous des intéressés et des charlatans qui abondent là comme à Paris, et peut-être plus...

Il ne me reste plus que le temps et la place de vous dire que, ministre déchu ou en disponibilité, je vous aime autant et plus que président du Conseil, que je vous aimerai dans toutes les situations, à moins que vous ne redeveniez journaliste; et que j’aime tout ce qui vous appartient. C’est l’élan du cœur, mais c’est aussi du devoir, car vous avez été pour moi aussi bon que je pouvais le désirer. Votre ami envers et contre tous, malgré tout.


Ainsi, à la fin de 1836, Bugeaud a pénétré en Algérie, il a vaincu, il a été le maître de l’heure, il a trouvé la véritable méthode de la guerre arabe, et, après avoir vu, comparé, jugé, il ne sait s’il faut garder ou abandonner la nouvelle conquête : en